Qui touche à mon corps je le tue, Valentine Goby
Marie G. attend dans sa cellule l'heure de son exécution. Elle est une "faiseuse d'anges", une des dernières femmes guillotinées.
Lucie L. attend que son enfant sorte d'elle car rien ne doit toucher son corps. Elle procède à son deuxième avortement clandestin, loin d'un mari qui l'aime...sans doute, loin de l'amour de sa mère. Nous sommes en 1943.
Henri D., lui, est le guillotineur, celui qui va tuer la femme fautive, celui qui pense avoir déjà tué sa propre mère...par trop de fatigue et dépuisement. "Vous faites tellement de bruit les enfants. Tu m'épuises, Jules-Henri, tu me tues."
Chaque protagoniste du récit de Valentine Goby suivra le fil de son destin jusqu'au terme d'une histoire qui ne dure que 24 heures et qui oscille sans cesse entre la vie et la mort...
Difficile de mettre un coup de coeur sur cette lecture au thème si dur, et pourtant je le fais, avec conviction.
Je dois avouer que j'ai aimé ce livre, son écriture très belle, son thème aussi. Ce récit regorge d'histoires de mères et de désirs d'amour. En suivant les pensées de Lucie L., j'ai songé à April des Noces rebelles (pour ceux qui l'auraient vu). Il y a chez Lucie ce même désir de vivre sa vie, de maîtriser son corps, ce que les femmes avaient si peu l'opportunité de faire à l'époque. Que de chemin parcouru, mais que de chemin à parcourir encore !
Difficile d'adhérer aux émotions d'Henri D., l'exécuteur !! Et pourtant Valentine Goby parvient à nous faire éprouver de la tendresse pour cet homme, victime d'une hérédité auquelle il n'a pas tenté d'échapper, vicitime de son rôle, et prisonnier de ses sentiments pour les victimes. On imagine très bien les traumatismes qui jalonnent son esprit et qui ont infiltré sa vie.
Difficile de ne pas vouloir en savoir plus sur Marie G., sur ses convictions, mais on la laisse avec l'amour qu'elle porte à ses enfants, et sur cette image de bord de mer avec laquelle tout finit.
Qui touche à mon corps je le tue est réellement un très beau roman.
Un extrait (monologue de Lucie) qui me touche, et que je trouve magnifiquement écrit...
"Est-ce que j'ai eu tort, qui a eu tort de ma mère ou de moi, de mon père, de mon mari, qui n'a pas vu n'a pas su qui j'étais avant que je n'en vienne à ça, risquer ma mort pour survivre, qui n'a pas eu les yeux pour voir, pour me voir, pour ne pas se mirer en moi, qui aurait pu balayer son reflet et me chercher en dessous, me trouver, est-ce que j'ai aimé qu'on me dessine, était-ce plus facile ; ai-je voulu ce rapt de moi-même, ai-je le droit d'être en colère, triste, contre qui, contre quoi ? Est-ce ma faute ? Suis-je victime, bourreau, les deux à la fois, quelle est ma part de consentement, de libre arbitre, où est "je", où est-ce qu'il commence, quand aurait-il dû naître et s'ancrer et dire non refuser repousser tout ce qui n'est pas lui ? Quand devrais-je être quelqu'un et qui pouvait m'aider, ai-je été faible ou juste pas avertie, le temps est-il rattrapable, est-ce que je peux espérer l'homme qui me tiendra au bout de son sexe, dois-je sangloter sur un fantasme, existe-t-il des réponses à mes questions, en moi, hors de moi, faut-il cesser de penser, de sentir, ou bien cette torture en vaut la peine parce qu'à la fin, peut-être, il y a une promesse de bonheur, ce que j'entrevois du bonheur, une sorte de plénitude où coexistent mon corps ma voix ma tête dans une seule enveloppe palpitante, et tout bat en même temps ? Ai-je raison de vouloir ? D'espérer ?"
Valentine Goby parle ici de son livre...
ISBN 978 2 07 012057 4 -13.90€ - 09/08
La très belle lecture de Clarabel - Celle plus réservée de Chiffonnette - La pyrénéenne l'a trouvé froid - Je partage l'avis de Elfe, bouleversée - Les autres lectures sont chez BOB...