Un territoire, Angélique Villeneuve
"Elle se dit que tout ce qu'elle aime est là. Tout. Dans la cuisine. Dans le cagibi. Elle n'a pas d'amis. N'en a jamais vraiment eu. Il n'y a eu que la Soeur. Et maintenant qu'elle n'est plus là, ce à quoi elle est attachée est partagé entre ces deux pièces. Les enfants, depuis des années, restent en lisière.
Est-ce un si grand désastre de penser qu'on n'aime plus personne, qu'on est vidé des autres. Elle est un coeur blanc, peut-être. Une feuille de papier, vierge de toute écriture.
Et pourtant, Dieu sait si elle les aimait. C'était d'une force. Comme un bouillon chaud, un tourbillon dans son ventre."
Elle, elle est depuis toujours murée dans un silence tendu, incapable de bien entendre, un peu gauche, lourde, juste là pour faire, pour les tâches ménagères. Puis le Garçon et la Fille sont devenus grands, et elle ne sait pas comment, mais insensiblement, elle s'est terrée dans un creux de la maison, humide, tandis qu'eux ont pris les chambres de l'étage, les meilleures. Elle les a aimé pourtant, tellement, autrefois, alors qu'ils étaient si petits, leurs corps contre le sien, et aujourd'hui ils ne lui parlent presque plus, sont hostiles. Elle n'est là que pour la lessive, leur faire à manger, les servir. Mais que s'est-il donc passé pour qu'un jour tout bascule ainsi ?
Voici un roman où l'infiniment petit est d'une grande force. Pas à pas, d'une écriture fine et précise, Angélique Villeneuve nous décrit un lieu, une vie et l'impasse dans laquelle celle-ci semble s'être échouée. Puis pas à pas aussi, elle nous présente le patchwork des souvenirs d'une narratrice sur laquelle on aurait bien tort de se faire des idées toutes faites. Les gestes du quotidien sont magnifiés et chaque espace de liberté volé à la tyrannie une victoire lumineuse. Un Territoire est une lecture émouvante, comme je les aime, au ras de l'intime et remplie d'espoir.
Editions Phébus - 15€ - Janvier 2012
Cathulu a été la grande tentatrice - Clara l'a lu aussi, en apnée