Lambeaux, Charles Juliet
"Le sentiment de ne rien valoir, de n'être rien, de n'avoir rien à espérer. Et mêlée à ce sentiment, la vague sensation qu'une plainte cherche à se faire entendre. Une plainte, ou un cri, ou bien encore une toute simple parole qui dirait la fatigue, le non-sens d'avoir à subir une vie qui se refuse, la désespérance de celui que ronge la nostalgie du pays natal et qui sait ne pas pouvoir le retrouver.
Après avoir couvert un certain chemin, tu te rends compte que ton besoin d'écrire est subordonné à un besoin de connaissance, que tu veux moins enfanter des livres que partir à la découverte de toi-même.
Plus tard, tu découvres cette autre évidence : puisque tu ne t'aimes pas, il t'appartient de te transformer, te recréer. Une certaine exigence t'habite. Elle te soutiendra, te guidera, te fournira la petite lumière qui te permettra de te frayer un sentier dans la nuit."
Dans ce livre, Charles Juliet a voulu faire revivre ses deux mères, celle qui lui a donné la vie et celle qui l'a élevé. Pour la première, il a les mots de la compréhension, de ce qu'il a perçu de semblable en lui. Cette jeune-femme, paysanne, après une enfance au service de sa famille a connu un drame amoureux puis s'est mariée et a sombré, avec les maternités, dans la solitude et la dépression. Elle est morte en internement, de faim, pendant la seconde guerre mondiale. Le narrateur est le dernier enfant de cette femme, un bébé lors de son départ, il sera élevé par un autre couple, et pour sa deuxième mère il a les mots de l'amour...
On me conseillait depuis longtemps ce titre, qui est effectivement très beau. Charles Juliet n'a pu écrire tout de suite Lambeaux tant il était douloureux pour lui de faire revivre ainsi ses fantômes.
"Si tu parviens un jour à le mener à terme, il sera la preuve que tu as réussi à t'affranchir de ton histoire, à gagner ton autonomie."
J'ai été remuée, révoltée par ce qui arrive à la mère de l'auteure, une vie flouée. J'ai puisé ça et là quelques précieuses phrases.
Une lecture qui confirme encore une fois le pouvoir salvateur de l'écriture.
Editions Folio - 5.95€ - Avril 1997
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