Kinderzimmer, Valentine Goby
"Mila ne se souvient plus de la date exacte. Le jour où les Belges sont arrivées avec des bébés joufflus, dodus sous la brassière, de kommandos extérieurs, sûrement. Elles serrent contre elle ces bébés splendides, bien nourris, surfaces de peau bombées, rosées, les blotissent dans leurs cous pendant l'Appell. Ils ont des lèvres rouges, pleines de sang rouge. De peaux marbrées laiteuses. Mila les fixe, elle se demande quel âge ils peuvent avoir. Jour après jour ils maigrissent. Ils rétrecissent. Au bout de trois semaines environ, les femmes posent seules."
- Alors quand vous aviez compris que vous alliez à Ravensbrück ?
Cette question d'une élève déclenche chez Suzanne Langlois beaucoup de trouble, elle qui a pris l'habitude de réciter son expérience en éloignant les émotions. Pour se raconter à elle même Ravensbrück, elle ne peut alors être que Mila, quelqu'un d'autre, cette jeune fille enceinte qui ne savait pas où elle mettait les pieds, bien sûr, et qui maintenait très fort la main de Lisette pour y faire ses premiers pas. Bien entendu, elle n'a su le nom de l'endroit qu'après y avoir passé deux mois et ensuite le nom n'a plus eu d'importance car tout a pris de toute façon une consonance gutturale bizarre. Parce qu'après, le combat est de tenir, d'oublier qu'il y a un enfant dans son ventre, d'éviter tout ce qui amène au tri et à la mort, tenir malgré le corps qui lâche, qui pue, et qui disparaît peu à peu sur des jambes chancelantes. Lorsque l'enfant naît, tout devient encore plus une raison de vivre, et de ne pas se laisser sombrer, la présence rassurante de Teresa, le partage pour le bien des enfants, cette Kinderzimmer où les bébés ne vivent pas plus de trois mois, le petit visage de James, les jours qui passent quand même, et les échos muets d'une libération prochaine et possible.
L'écriture de Valentine Goby est dans ce titre encore frappante, directe et belle, malgré l'horreur de ce qui est raconté, exactement celle dont j'avais conservé le souvenir dans le très marquant Qui touche à mon corps je le tue. Et c'est ce qui m'a frappé en début de lecture, cette capacité de l'auteure à nous détacher des émotions fortes que l'histoire pourrait nous insuffler. Et puis, le récit prend de la consistance, les événements s'enchaînent et donnent une image de plus en plus réaliste de l'effroi. Alors, l'écriture de Valentine Goby insuffle alors autre chose, le maigre espoir de voir vivre jusqu'à la fin Mila et son fils, et ce maigre espoir, même s'il s'amenuise de plus en plus, nous tient et nous tire inexorablement jusqu'au terme du récit. Je me suis empêchée d'aller voir des images du camp sur internet, je voulais garder la petite lumière vacillante qui parcourt ce roman en tête, et ne pas douter de l'humanité entière, comme Mila le fait si justement, alors qu'elle égrène chaque geste, chaque parole tue, chaque acte qui lui sauve la vie depuis son entrée à Ravensbrück, et lui permet de croire à un destin protégé.
Lu en grand format, merci ma bibli !! - Sorti en poche aux éditions Babel - 7.80€ - Mars 2015
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