Eileen, Ottessa Moshfegh
"Ça aurait pu être bien pire, évidemment."
Alors qu'elle est à présent une vieille femme et que son environnement est bien différent de celui qu'elle côtoyait jeune fille, Eileen se remémore les circonstances qui ont précédé son départ de X-ville et changé sa vie...
Agée à cette époque de 24 ans, elle passe habituellement ses soirées avec son père alcoolique, ancien flic, et travaille le jour en tant qu'agent d'accueil dans une prison pour adolescents. Un quotidien glauque, un travail qu'elle effectue un masque de mort plaqué sur son visage, un corps qu'elle rejette et qu'elle couvre des vêtements de sa mère morte. Tout concourre à ce qu'Eileen déteste son existence, soumise et sans issue, et rêve en secret du grand départ. L'arrivée de Rebecca au sein du personnel de la prison, Rebecca si belle et si troublante, à la fois proche et distante, va bouleverser la jeune femme avide d'affection. Mais la nouvelle venue se révèle dangereuse, manipulatrice, et va entraîner Eileen dans une bien étrange fascination pour un des détenus, Lee, accusé d'avoir égorgé son père.
Ce titre est un premier roman, et je l'ai choisi béatement pour sa couverture (que j'aime bien) et son résumé, avec l'intention de faire la connaissance d'une jeune fille mal dans sa peau. Je ne m'attendais cependant pas à une telle atmosphère, si désenchantée et sale. Il est difficile, en effet, d'avoir de l'empathie pour Eileen et son comportement bizarre, quoique compréhensible. Pour autant, j'ai aimé lire ce livre, sa voix littéraire, rencontrer ces personnages désagréables, qui passent beaucoup de temps à boire, à vomir et à manger des cacahuètes ou des sucreries immondes. Il n'y en a aucun pour rattraper l'autre, et inutile de chercher non plus en eux un quelconque espoir, et c'est assez rassurant, à défaut d'être apaisant. C'est un genre de littérature que je comprends, le désenchantement. La fin s'avère cependant un grand n'importe quoi grotesque, qui a le mérite de donner à ce roman sa véritable nature, celle d'un thriller qui cache bien son jeu. Il aurait été sans doute judicieux, justement, d'orienter le lecteur vers ce genre dès le départ, afin qu'il ne parte pas sur une fausse idée de roman réaliste, alors que nous sommes ici plus proches du Carrie de Stephen King... sans les effets spéciaux, et le seau de sang. Eileen est pour autant moderne, dans l'air du temps... dans la mouvance de séries telles que True Detective, qui montrent une Amérique profonde, perdue, en marge, brisée, à la déchéance toute tracée, et dont les individus ne peuvent s'extraire qu'au prix d'une grande volonté, ou d'une certaine inconscience.
Editions Fayard - 20€ - Janvier 2016 - Merci à NetGalley !