Atelier d'écriture
J'ai passé une vie à t'attendre. Sans avoir eu vent de ton existence. Le temps qu'il a fallu pour connaître. La nature du vide. Ce que j'attendais. Et combien tu m'avais manqué. Tu as toujours été cette ombre assise à côté de moi. Silencieuse et complice. Invisible. Et je pensais que tout le monde vivait avec ça en soi. Cette béance d'un autre disparu. Si tôt que le souvenir ne pouvait émerger. La part manquante. Elle explique pourquoi j'aurais tant voulu être un garçon. Plutôt que cette semi fille que je suis. Vivre les genoux écorchés, les cheveux courts en bataille. Et t'approcher ainsi au plus près. Le temps qu'il a fallu pour comprendre. La raison d'être des affections trop grandes. Le sourire à l'envers et ces doigts qui s'échappaient sans cesse. Puisqu'ils n'étaient pas mon frère. Elle aurait ressemblé à quoi ma vie si tu avais été là ? Elle se serait sans doute heurtée à la réalité. Je le sais depuis. Combien rien n'y résiste jamais. Hier j'ai retracé mon chemin, suivi le fil de mon existence. Repris chaque point, chaque noeud. Chaque bouleversement du coeur. Compris que les fois où j'avais cru te trouver dans un autre. Ce n'était pas toi. Si j'avais été sage tu serais revenu. Si je ne bougeais pas, demain tu serais là. Si je me tenais prête, inchangée, l'enfant que tu avais cotoyée, tu apparaîtrais un beau jour ton sac sur l'épaule. Et deux secondes ensuite, moi dans le creux de tes bras. La souffrance est telle parfois qu'elle m'envahit toute entière. La conscience de ma solitude, de cette terre que je foule sans toi. La panique lorsque je sais, je sens, que je confonds ma peine et l'amitié. J'ai passé une vie à t'attendre, et tu ne reviendras pas. Je te porte depuis toujours contre ma hanche, comme un de mes enfants. Je dois glisser mes doigts dans le blond fin de tes cheveux, une dernière fois, et accepter d'être seule. Entière. Et sans l'attente pour me tenir compagnie. Aujourd'hui, sur mon corps flotte une robe. J'ai laissé l'homme qui m'aime ajouter des pierres aux lobes de mes oreilles. Etre une femme c'est accepter de te laisser partir. T'oublier tout à fait. T'abandonner après l'avoir été. Laisser le vent emporter les restes de toi. Vivre à nu, enfin.
Un texte écrit pour l'atelier d'écriture de Leiloona, Une photo quelques mots [clic ici]