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Les lectures d'Antigone ...
Ardoise magique

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Ben oui, à mon tour, j'ai craqué !

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26 mai 2008

Hémicrânie

consigne70

Je sors du garage avec une épouvantable migraine. Une migraine tenace.

J’ai pourtant pris deux cachets ce matin, juste avant d’avaler, bouche crispée, mon grand bol de café. Grave erreur sans doute, une tisane aurait mieux été acceptée par mon réseau veineux en ébullition !

Une migraine à se taper le crâne contre les murs, à se plonger la tête dans l’eau froide de l’étang qui jouxte la maison, à hurler dans l’air frais de cette nouvelle journée, une migraine forte à pleurer, une migraine à détester tout le monde, et moi la première, une migraine à tout envoyer promener une bonne fois pour toutes, comme je devrais le faire parfois, je crois.

Manque d’énergie, de volonté, de caractère.

Je ne suis bonne qu’à ronchonner, qu’à geindre.

Les enfants ont senti tout à l’heure, dans la voiture, sur le chemin de l’école, qu’il valait mieux ne pas piper mot aujourd’hui, juste se taire, contempler la vie par la vitre baissée, attraper son cartable, m’accorder un rapide baiser et s’envoler vers des camarades plus affables. On verra bien ce soir, si je suis d’humeur égale, alors il faudra encore une fois filer dans sa chambre, fermer sa porte, et attendre que l’orage passe.

La porte du garage grince en se rabattant, puis se referme en un claquement sec. Le son vrille mes tympans douloureux. Je contemple, immobile, ma fierté, ma belle maison aux volets verts, baignée de soleil, ses fleurs odorantes, ses massifs impeccables, son allée de cailloux, ma solitude, mon envie de disparaître, ce silence.

Je glisse mes doigts dans mes poches de manteau et en retire trois petites poupées fragiles, colorées, fabriquées de quelques bouts de ficelle et d’un peu d’espièglerie. J’ai posé l’une sur l’autre, hier au soir, les mains qui me les ont offertes.

Comment s’habituer à cet évanouissement des sourires ?

Je sais que cette épouvantable migraine me tiendra encore, un jour ou deux, puis qu’elle disparaîtra, progressivement, comme à chaque fois, avec l’écoulement des heures. Saleté de travail !

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Un texte émis suite à la consigne 70 du site Parole Plurielles. Il fallait s'inspirer de la photo ci-dessus et de l'incipit suivant : "Je sors du garage avec une épouvantable migraine..."

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14 mai 2008

Chanson douce

NarB 

Ce matin, pour la première fois depuis longtemps, je me suis surprise à chanter, tu sais cet air que tu fredonnais lorsque j’étais petite, celui qui donnait envie de tourner sur soi, très vite, et puis de tomber, essoufflée, les jambes en l’air, dans les coussins du sofa.

Ce matin, pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai pensé à toi.

Les rideaux ont pris tout à coup une teinte plus grise.

Les ombres des bibelots se sont arrangées pour se faire plus discrètes, plus pâles.

Peine perdue. Tu étais là au milieu du salon, invisible et présente, colorée et inquiétante, toute pleine de paradoxes, telle que je te connais.

Les notes de ta chanson se sont égarées quelques minutes sur les miettes de mon petit-déjeuner, je les ai contemplées puis balayées, d’un grand coup sec, du plat de la main.

Je n’ai jamais eu besoin de te voir pour connaître l’abîme dans lequel tu me perds.

Ton souvenir suffit bien à troubler les secondes tranquilles, l’équilibre des heures.

Voilà pourquoi, j’accroche aux murs de ma maison, des gris-gris innocents, censés préserver mes lieux de funestes pensées.

Ce matin, pour la première fois depuis longtemps, je me suis surprise à chanter.

Tu sais. Comme lorsque j’étais petite.

Quand la vie ressemblait à une danse tournoyante.

Quand tu étais les bras...qui m’empêchaient de tomber.

Un texte émis suite à la consigne 69 du site Paroles Plurielles. Il fallait s'inspirer de la photo tout en haut et de l'incipit suivant : "Ce matin, pour la première fois depuis longtemps..."

9 mai 2008

Un petit morceau de fiction...

bookosierT’étreindre plus que tu ne le voudrais - mais seulement en surface – être maligne, éviter le faux-pas qui te rendrait méfiant, réussir à t’embrasser sur les deux joues, bruyamment, esquiver cette main que tu me tends, te rétorquer que nous nous connaissons déjà, depuis tant de temps, que ce serait dommage. Faire semblant.

Apercevoir le sourire réjoui de nos fils sur nos têtes qui se rejoignent, brièvement.

De mon cœur qui bat, de mes doutes, de mes vains espoirs, tu ne sauras rien.

Je me le suis jurée hier au soir. Les choses resteront ainsi, bancales. Tu accompagneras Jules chez moi, ils joueront ensemble. Toi debout sur le seuil de ma maison, tu seras là pour quelques secondes, pour une conversation impersonnelle. Le souvenir de la chaleur de tes joues sur ma peau. Mon regard profitera de ces quelques moments, tendus sur ton départ, pour capter tes yeux, en garder l’empreinte.

Profiter de ta présence, malgré toi, à ton insu. Avoir depuis longtemps maintenant dépassé la honte de cela, de ces émotions que je grappille.

N’être plus qu’attente.

Je referme la porte, doucement, sur ton ombre qui se perd dans le tournant de l’allée. Tu reviendras, tout à l’heure. Je goûte avec délice le plaisir de cette répétition, toi et moi face à face, deux fois dans la même journée.

Pour alibi, une rencontre d’enfants.

Tom et Jules s’amusent bruyamment dans la chambre du fond, leurs rires me parviennent, éclats de peinture colorés qui réchauffent soudain notre maison, bien souvent silencieuse. Ils ont renversé des caisses de jeux, en un sourd grondement profond, écho de tonnerre d’amusements à venir.

Les voitures et Lego ont certainement glissé jusque sous les meubles.

J’imagine facilement le ruissellement des petites pièces, feu d’artifice fracassant, interrompu par des plinthes, couleur terre.

Ce soir, plus tard, j’aiderai Tom à  récupérer les plus récalcitrantes, celles coincées sous la grande armoire aux pieds épais. La joue contre le parquet, le rire au ventre.
Tu seras venu, chez moi, je serai heureuse, soulagée, d’avoir réussi cela, simplement, ta présence.

Depuis le temps que je t’espère.

23 avril 2008

Djinn

angel

Il faut absolument que je pense à changer de lieu…

Le café-restaurant, dans lequel je me rends, chaque jour, aux environs de midi, devient de plus en plus bruyant, et ELLE ne vient plus.

Peu m’importe alors d’observer tous ces gens, leurs assiettes, leurs tasses fumantes, leurs sacs qui bâillent et leurs sales habitudes, si ELLE ne vient plus.

Bien sûr, il me reste encore des détails à chiper ici et là, des petits bonheurs discrets, des incongruités dont je tapisserai les cloisons de ma solitude ce soir. Bien sûr.

Mais je la voudrais, près de moi, telle que je l’ai aperçue la première fois.

Ses ailes brillaient dans la lumière du jour.

Et ELLE était si belle,

avec son sourire d’ange, sa grâce juvénile et sa manière bien à elle de darder sur les amoureux maladroits son regard de feu.

Si j’étais resté silencieux, attentif et patient, ELLE serait toujours présente, à mes côtés, flamboyante.

J’ai tout détruit.

Pour LA séduire, j’ai fait le pitre, l’inspiré, semant dans mon sillage des graines de folie.

Je ne savais pas.

ELLE voulait simplement qu’ils s’embrassent.

ELLE avait tant travaillé pour cela.

Et moi, j’ai tout gâché.
Oh, ELLE a bien eu le loisir de me le reprocher, plus tard. Mais, le mal était fait.

Ils se sont disputés. Les chaises ont grincé bruyamment en traînant sur le parquet…

ELLE, elle voulait qu’ils s’aiment.

Devant leur table vide, dévastée, ELLE a fulminé. Ses yeux ont lancé sur moi des éclairs durs, définitifs, et ELLE est partie dans un grand froissement délicat de plumes et de soie, sans un mot pour ma présence misérable.

Il faut absolument que je pense à changer, aussi, je crois.

24226616

Ce texte a été émis sous l'inspiration de la consigne 67 du site Paroles Plurielles. Il fallait s'inspirer de la photo de café ci-dessus, et de l'incipit suivant : "Il faut absolument que je pense à..."

14 avril 2008

Un amour d'été

J’ai rencontré Boris il y a aujourd’hui dix ans. espadrilles

Je me souviens très bien de cet été là, du camping foisonnant, de la plage et de cette cuisine improbable, au goût craquant de sable, que nous mijotions en silence, mon amie et moi, sur un réchaud de fortune.

Nous partagions, avec Emeline, pour ces quelques jours de vacances, une tente igloo deux places au confort spartiate. Un rituel journalier s’était vite instauré. Nous prenions notre douche matinale assez tard. Nous laissions l’eau couler longuement sur nos peaux dorées, tout en discutant à travers les parois ajourées des sanitaires désertés. Puis, un petit déjeuner rapide au creux de l’estomac, nous prenions le chemin de sable qui mène à la mer, une simple serviette nouée autour de la taille. Les heures passaient ainsi, lentement, bercées par le rythme régulier des marées.

Les garçons se sont installés près de nous l’après-midi du sixième jour. Très vite, ils nous ont proposé de sortir avec eux, le soir.

Je l’ai trouvé beau, sous la lumière des spots, les lunettes calées sur le haut de sa tête. Il m’a embrassée, longuement, sur le slow lancinant de l’été.

Alors que je regarde le Boris d’aujourd’hui, affalé sur le canapé du salon, alors que je me regarde, moi, avec ce Tee-shirt sale, les cheveux gras, prête à m’élancer aux premiers cris de notre enfant nouveau-né, me vient parfois, furtivement, la pensée de ce qu’il serait advenu de moi, si j’avais détourné la tête à ce moment-là, s’il n’était resté…qu’un amour d’été.

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8 avril 2008

Motivation

C'est étrange, depuis que je ne travaille plus, je me sens de plus en plus fatigué. Il faut croire que la paresse épuise, je ne vois que ça.

Lucie  me jette des coups d’oeil vaguement compatissants le matin, au petit-déjeuner, mais je sais qu’elle ne supportera pas longtemps mes joues sombres et ce jogging usé que je traîne partout depuis quelques temps.

« Tu fais quoi aujourd’hui ? », me lance-t-elle, le nez dans son bol de café. J’ai toujours aimé contempler la mobilité de ses sourcils et leur jeu expressif. Ils expriment en ce moment une inquiétude sourde, mêlée peut-être d’une pincée d’espoir.

« Rien ». Mauvaise réponse. Je remarque l’affaissement brutal desdits sourcils et le plissement profond des rides du front. Elle repose doucement son bol et glisse ses doigts dans ses cheveux.

« J’aurais aimé que tu ailles me chercher un dossier à cette adresse ! ». Elle me tend un petit bout de papier. « Je dois filer ».

L’air de la rue sur mon visage, l’odeur des gaz d’échappement, la foule, tout me prend à la gorge dès que je sors de notre immeuble. J’en veux à Lucie de m’obliger ainsi à affronter l’extérieur. Je sais que je m’enferme petit à petit. Je saisi aussi la colère qui l’habite. Cette histoire de dossier...

Le métro est clairsemé, les rames se remplissent doucement au rythme des sirènes. Je ne connaissais pas, auparavant, ces heures creuses, tranquilles, où l’effervescence des pointes d’affluence n’existe pas. La présence d’hommes de mon âge me rassure étrangement.

Une lourde porte à pousser et je pénètre dans une cour pavée. Une rangée de boîtes aux lettres m’accueille silencieusement. La note de Lucie à la main, je parviens à récupérer l’objet de ma quête auprès d’une hôtesse d’accueil au sourire dolent. Une mention inscrite en gras me saute immédiatement au visage : «Développement personnel - Stage formation - Ou comment faire preuve de courage dans ses projets. »

Lucie, et son humour discret.

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Ce texte est issu de la consigne 66 du site Paroles Plurielles. Il fallait s'inspirer de la photo ci-dessous et de l'incipit suivant : "C'est étrange, depuis que je ne travaille plus, je me sens de plus en plus fatigué.".

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quai_m_tro

28 mars 2008

Impact

impactJe lui ai dit de se taire. Il ne m’a pas écoutée. Il continuait de suivre le rythme de ses phrases, le souffle de son agressivité, sa parole balbutiante, emplie de reproches.

Il avait encore trop bu, son haleine empestait. Les mouvements de ses mains avaient perdu leur grâce sobre. Son regard était loin, perdu pour moi, au moins pour le reste de la journée.

Les cadavres des bouteilles vides, privées de leur substance, gisaient par terre, sur le carrelage froid de la cuisine. Elle attendaient là, prêtes à être recyclées.

Malgré le désordre manifeste de notre vie, les choses continuaient de vivre la leur, sagement. Les bouteilles partaient au recyclage, les papiers étaient rangés, les factures payées.

Je lui ai dit de se taire, une seconde fois, pour entendre dans ma voix cette force que je ne connaissais pas, nouvelle, qui me grisait et me troublait.

Je me tenais en retrait, appuyée légèrement contre le chambranle de la porte vitrée, le regard rivé sur les bocaux transparents, posés négligemment sur le rebord de la fenêtre. « Il faudra que je les lave », me dis-je, laissant ma pensée divaguer, s’extraire de la scène un moment, rêver d’une maison propre, belle, où j’aurais le temps de donner aux objets leur place, et à ses habitants une vie sur laquelle se reposer.

Je lui ai dit de se taire, une dernière fois, pour essayer encore, sans succès.

Il ne m’entendait plus.

Alors, j’ai laissé mon esprit libre d’imaginer ce qu’il souhaitait.

J’ai senti mes doigts agripper un bocal, mes yeux admirer la lumière se reflétant sur le verre, l’habillant d’une parure de fête, brillante et aveuglante.

Je me suis regardée, dans mon rêve, lancer cet objet contre le carrelage, à côté de l’évier, attendre le fracas de l’impact et le ruissellement des morceaux sur le sol.

Puis, comme une délivrance, son étonnement et son silence.

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(Paroles Plurielles)

21 mars 2008

Décision

consigne

Nelly est une gentille fille. La plupart du temps, je prends du plaisir à écouter sa conversation. C’est un peu pour cela, il faut bien l’avouer que je passe prendre un café rapide tous les matins dans son bistrot,  avant de monter quatre à quatre les escaliers qui mènent à mon bureau. J’avoue même avoir un léger béguin pour elle. Nous faisons semblant, tous les deux, de croire encore à cette histoire de cafetière en panne qui s’éternise depuis des mois.

Ce matin, son bonjour me laisse pourtant froid. Je n’ai qu’une hâte, que Nelly me laisse seul face à mon expresso. Rebecca a demandé le divorce hier au soir. Pour être juste, elle ne m’a rien demandé, elle a simplement lâché, au dessert : « Ah au fait, Richard, il faut que je te dise, je divorce ! » Bien entendu, j’ai répliqué, je me sentais tout de même un peu concerné. Elle m’a rétorqué que je n’avais rien à dire, que tout s’arrangerait entre avocats, que l’on n’allait tout de même pas se ridiculiser à simuler une passion que l’on ne ressentait plus depuis longtemps l’un pour l’autre. C’est bête, je pensais qu’elle était heureuse ainsi, dans cette douce indifférence conjugale, qu’elle avait un peu recherchée. Le froufrou de ses activités envahissait ma vie depuis tellement d’années que je m’étais habitué à rester au dehors. Je partais tôt, je rentrais tard, je cumulais les dossiers. Depuis hier, l’exclusion était définitive et me donnait un peu le vertige.

Nelly s’est finalement décidée à placer près de ma tasse une soucoupe bleue, transparente. J’ai l’habitude de déposer mes pièces sur le comptoir. Elle s’est déjà éclipsée et me tourne le dos. Sur le blanc du ticket, un numéro de portable. J’observe cette fine statue coquine qu’elle a déposée sur les étagères, derrière le bar. Je décide que je ferais mieux d’oublier les femmes pour quelques temps. Entamer une aventure avec une serveuse de bar serait stupide, je ne suis pas né de la dernière pluie, c’est comme ça qu’on perd un procès.

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Ce texte est ma contribution à la Consigne 65 du site Paroles Plurielles. Il fallait s'inspirer de la photo ci-dessus, et terminer sur cette phrase "c'est comme ça qu'on perd un procès."

20 mars 2008

Nuage de journée...

impression soleil  encre papierpe0058691
café bonjour  travail dossiers
bleu compromis Sourire
lenteur
rires collègues   sonnerie amitié
tampon téléphone 
recommandé
présence absence inquiétude
ennui silence ascenseur 
ailleurs         

9 mars 2008

Justine

escalierAimer pour de vrai, cela ne m’arrivera jamais, jamais plus.

En tous les cas, pas ici, pas sur cette terre, pas pour moi.

 

 

 

Ai-je déjà su le faire ? Je n’en suis pas certain. Serrer un  corps contre moi, le protéger, vouloir son bien, par-dessus tout. Rien que son bien. Pas le mien. Par-dessus tout.

Je n’en suis pas certain.

 

 

 

La lumière filtre légèrement par l’interstice des volets tirés. Il fait jour. Ils vont bientôt rentrer, monter bruyamment les stores, faire entrer le soleil, donner à tout, à cette chambre, un éclat si cru, si désespérant, l’éclat d’une fin qui me ressemble, morne et esseulée.

 

 

 

Je profite du calme qui précède l’entrée des aides soignantes. Je redoute leur présence conviviale, le sourire qu’il me faudra leur prodiguer, bien malgré moi.

 

 

 

« Vous allez bien Monsieur Thomas ? ».

 

 

 

Je ne leur réponds jamais. Elles le savent. Leur regard évite le mien, glisse sur les taches à accomplir, le plateau du petit-déjeuner à déposer.

 

 

 

Que pourrais-je leur dire ? Que je ne vais pas bien, que je vais même crever, sans doute bientôt. Que voilà, c’est ainsi. Que je me meurs d’une mort programmée. Qui se soucie des états d’âme d’un vieil homme renfrogné ?

 

 

 

Je sens déjà mon corps se détacher de moi, doucement. Je le sens inerte sous les draps, comme sur le départ. Mon corps a fait ses bagages. Il ne m’a rien demandé. Il a décidé, sans préavis, qu’il m’avait suffisamment porté, qu’il pouvait, à présent, se reposer, sans moi.

 

 

 

Mon esprit embrumé cherche au fond de sa mémoire le souvenir d’un amour passé, auquel s’accrocher un instant. Il cherche parmi les éclats des visages qui défilent celui qui a su le retenir assez longtemps pour faire battre son cœur. Il tente un retour vers une vie, ancienne, plus vive, plus réelle.

 

 

 

Je ne sais plus. J’enfonce ma tête dans l’oreiller et me perds dans la contemplation d’un plafond sans couleurs.

 

 

 

Justine ! Ca y est, je me souviens… Justine.

 

 

 

Une bouche rose et des cheveux châtains, déployés, s’agitent tout à coup devant moi. Comment ai-je pu oublier ce sourire, ces fossettes joyeuses et cet aplomb sans bornes ? Oui, c’est vrai, il y eut Justine.

 

 

 

Je la vois, comme si c’était hier, dévaler les escaliers de notre immeuble, sans se soucier du bruit qu’elle faisait, sans se douter que le heurt de ses talons contre les marches en bois résonnait jusque dans les appartements voisins. Je la vois s’ébrouer dans le froid du matin, effrayer le chat du gardien et s’envoler au coin de la rue, son manteau derrière elle, comme une cape.chat

 

 

 

Justine me fascinait. Elle me semblait mystérieuse et irréelle. Elle était pourtant à peine plus âgée que moi. Je passais des heures dans les escaliers à guetter son passage. Bien souvent, dans sa précipitation, elle me gratifiait d’un éclat de rire, amusée que le livre que je lisais pour me donner une contenance s’envolât dans un bruissement de feuilles froissées.

 

 

 

Justine, qui se souciait si peu de mes quatorze ans, et de mon cœur en miettes. Justine qui m’a regardé avec un peu plus d’intérêt lorsque j’en ai eu dix-sept et que ses dix neuf ans alourdissaient ses pas. Justine que j’ai découverte, un matin, en pleurs, dans un recoin du hall d’entrée de notre immeuble.

 

 

 

J’entends au loin les chariots du petit déjeuner heurter les portes coulissantes qui séparent les services. Elles ne vont plus tarder… Je perçois déjà le souffle de leur présence, si vivante, si bruyante.

 

 

 

Je voudrais qu’elles me laissent encore, un instant, penser à ce moment du passé, si lointain, sentir sous ma peau des muscles adolescents, capables à l’époque de soulever ce grand corps affaissé, muscles à peine capables aujourd’hui de traîner le porte goutte-à-goutte jusqu’aux toilettes. Je voudrais pouvoir retenir, ce matin, le souvenir de ce qui ne m’arrivera jamais, jamais plus.

 

 

 

Justine. Je l’avais soulevée jusque dans notre appartement. Elle s’accrochait à mes épaules comme un petit chat perdu, effrayé. Je ne savais pas quoi faire de ce grand corps, pelotonné sur mon lit, visiblement en détresse. Nous étions seuls et l’appartement était silencieux. Mes deux parents travaillaient.

 

 

 

Je me souviens avoir, maladroitement, soulevé les mèches de cheveux qui recouvraient son visage, lui avoir caressé un instant la joue, lui avoir préparé un thé brûlant qu’elle a laissé refroidir, sans l’avoir bu, sur ma table de chevet. Je me souviens de mon trouble de la voir là où je désespérais depuis toujours de la voir, et de mon incapacité à la faire parler. Je me souviens du jour qui baissait, au dehors, et de ses larmes qui n’en finissaient plus de couler.

 

 

 

« Vous allez bien Monsieur Thomas ? »

 

 

 

Martine, l’aide soignante du jour, vient de pénétrer dans ma chambre. Sa collègue, restée dans le couloir, farfouille dans le chariot à la recherche d’une cuillère et d’un couteau pour le plateau suivant. Comme prévu, elle soulève violemment les volets, après avoir déposé près de moi le plateau du petit-déjeuner, au café fumant.

 

 

 

Sans attendre une réponse de ma part à sa question rituelle, elle redresse mon lit, cale l’oreiller derrière mes épaules, vérifie le goutte-à-goutte, tout en sifflotant un air que je ne reconnais pas. La porte se referme enfin sur sa blouse blanche. J’entends ses sandales en plastique se diriger vers la chambre d’à côté. J’ai devant moi, encore, quelques minutes de tranquillité.

 

 

 

Justine s’était tout à coup redressée, avait regardé l’heure sur le réveil qui me tirait du sommeil chaque matin, avait déposé sur mon front un baiser brûlant et s’était enfuie de notre appartement, sans explications. J’étais resté stupide, dans le noir de ma chambre, à regarder un lit vide, sur lequel persistait la trace d’un corps que je n’avais même pas touché.

 

 

 

Mes parents m’avaient rapporté le lendemain, avoir entendu dans les escaliers, des nouvelles de Justine. Il était question d’un départ précipité, étrange, vers la capitale.

 

 

 

« Elle doit être enceinte. », assura ma mère, avec un haussement d’épaules.

 

 

 

Je comprenais la honte d’une situation, délicate à l’époque, je comprenais les larmes de la veille, je ne comprenais pas toutes les implications de ce départ précipité.

 

 

 

Justine a disparu de ma vie, pendant de longs mois, et j’ai fini par l’oublier, peu à peu.

 

 

 

justineUne autre fille, plus douce, moins compliquée, m’a souri au printemps, m’a laissé goûter ses lèvres, s’est accrochée à mes bras. Je ne l’aimais pas réellement, mais je l’ai laissée, petit à petit, mettre sur ma vie ses désirs. Quelques années plus tard, elle est devenue ma femme, je l’ai laissée m’épouser, enrober ma vie d’un cocon, sans battements de cœur, sans dangers.

 

 

 

Lorsque Justine est revenue vivre dans l’appartement de ses parents, un silence pesant a couru dans les escaliers, comme une onde froide. Personne n’a jugé bon d’émettre un commentaire sur ce retour surprenant. Même le chat du gardien ne s’enfuyait plus au passage de ses souliers.

 

 

 

Justine a repris ses études, là où elles les avaient interrompues, comme si aucune rupture n’était venue fêler son existence. Son visage, autrefois rose et bourré de fossettes, était toujours d’une même couleur blême et fade, quel que soit le temps. Lorsque je la croisais, elle ne m’adressait plus aucun regard, comme si, jamais, rien ne s’était passé entre nous, comme si son corps ne s’était jamais lové, en pleurs, sur mon lit d’adolescent.

 

 

 

Je ne ressentais plus pour elle, pour ce qu’elle était devenue, les sentiments qui m’avaient agités auparavant, je ne ressentais plus ce désir, fort, bouleversant, de la protéger, de recueillir son rire, d’embrasser à perdre haleine ses cheveux bouclés. Je ne l’aimais plus.

 

 

 

Martine entre dans ma chambre, à nouveau, elle vient chercher le plateau, à peine entamé.

 

 

 

« Il faut manger, Monsieur Thomas ! », me dit-elle d’une voix que je juge un peu adoucie, au regard de son ton habituel.

 

 

 

Ses yeux rencontrent les miens, un instant. Je sais qu’elle sait, je le vois dans son regard. Elle sait que je sais, elle le lit dans mes mains qui tremblent et esquissent un geste résigné. Il me semble que ses épaules se sont un peu affaissées lorsqu’elle quitte la chambre. J’entends, quelques minutes plus tard, son rire résonner dans la chambre d’à côté. Qui se soucie des états d’âmes des aides soignantes, et de leur combat constant, pour garder le sourire, seul remède contre la morosité ? Qui se soucie de ce qui se passe dans ce lieu, des étincelles de vie mises de côté ?

 

 

 

J’étais sortie de la vie de Justine sans y être jamais entré. Elle était sortie de la mienne, sans le savoir. Je ne me doutais pas, à dix-sept ans, que je n’aimerais plus jamais, et que cela me manquerait, tout à coup, à l’approche de ma mort. Qu’aimer, pour de vrai, était la seule chose que je regretterais soudain, un matin de printemps, au réveil.

 

 

 

Serrer un corps, contre le mien, le protéger, vouloir son bien, par-dessus tout. Rien que son bien. Pas le mien. Par-dessus tout.
Aimer, un point c’est tout.                     

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