Les derniers flamants de Bombay, Siddharth Dhanvant Shanghvi ... Rentrée littéraire
"L'amour, songea-t-elle, porte chance. Puis son regard tomba sur la photo que Karan lui avait donnée la première fois qu'il était venu chez elle. Montée, encadrée, elle était désormais installée au-dessus de son lit. Les flamants en vol, ignorant le ciel et le soleil, les avaient éblouis ; dans leur mouvement, un sens ineffable, puissant, d'infinitude. Au dos de la photo, l'écriture paresseuse de Karan : Les flamants perdus de Bombay, des mots qui avait marqué le début de la fin de leurs vies respectives, telles qu'ils les avaient connues jusque-là."
Lorsque Karan Seth débarque à Bombay, il ne s'imagine pas à quel point son destin sera marqué profondément par cette ville. Il n'est au tout départ du roman qu'un tout jeune-homme, engagé dans une revue en tant que reporter photographe. Son désir secret est de parcourir la ville et d'en révéler via son talent photographique une géographie personnelle.
Son métier le mènera vers Samar, pianiste-dandy, et son amie Zaira, star bollywoodienne qui deviendront des amis proches. Seulement, la mort violente de Zaira mettra à jour l'influence d'une haute société indienne compromise et fausse, injuste, dont il ne soupçonnait absolument pas le pouvoir. Par ailleurs, sa rencontre avec Rhea, femme mariée et artiste en poterie, révèlera en lui les désillusions de la passion amoureuse. Son seul recours sera la fuite vers l'Europe pour revenir, plus tard, tel un aimant vers un Bombay rebaptisé Mumbai.
Voici une lecture dont je ressors toute pleine de sentiments contradictoires. Elle m'a été parfois presque douloureuse, fastidieuse, et par moments très prenante, intéressante. J'avais de l'Inde, la vision transmise par les romans de Chitra Banerjee Divakaruni (que j'adore !), mais n'est-ce pas la vision que nous occidentaux attendons de ce pays, de la couleur, de la sensualité, des traditions se heurtant à une certaine modernité, anglo-saxonne la plupart du temps ? Ici, rien de tout cela, nous sommes dans une Inde moderne, sexuelle, camée, pleine de corruption, dont la beauté se cache dans les ruelles perdues de Bombay et dans le coeur de ses habitants. L'amitié y est une denrée précieuse, rare. L'amour est à prendre dans l'imperfection, sans attentes.
J'ai aimé la grâce dure des images décrites par l'auteur, moins les divagations sur le snobisme, le milieu bollywoodien ou l'énumération des actes d'un procès qui prennent un peu trop de pages de ce roman foisonnant. La force du récit est de nous présenter une galerie de personnages riches, évitant avec brio les travers du manichéisme. Aucun des protagonistes n'est parfait. Chacun a son droit à l'émotion, aux sentiments, aux erreurs, aux changements. La vie y est ce qu'elle est en réalité, toujours pleine de mouvements, de surprises et d'arrêts brutaux.
Une lecture, étrangement toute en puissance, qui a laissé la lectrice que je suis un peu KO...mais dans le bon sens.
Petit détail sinon : j'aurais aimé que la couverture ressemble un peu plus au roman qui est moins sensuel que profondément moderne.
Note de lecture : 4/5 - Editions des 2 terres - 22.50 € - Sortie le 25 Août 2010
Challenge 1% rentrée littéraire 2010 : 4/7
Lu dans le cadre d'une opération Masse critique exceptionnelle de Babélio
Les derniers flamants de Bombay
Critiques et infos sur Babelio.com
Litanie du désamour
42 C'est à ce moment que tu ne m'as pas vu, il faisait grand soleil, nous avons alors senti très bien que rien ne va, que rien n'allait, que rien allait nous arriver
41 tout de suite, je me suis dit : fini c'est fini, les motos roulent, les mots parlent, les arbres s'arrêtent, les bicyclettes se regardent : c'est bien fini
40 déjà hier nous n'étions plus très vivants, tu sentais bien un peu le refermé, nous n'étions pas si vivants que ça, on sentait bien que ce n'était pas ça
39 c'était, ç'aurait pu être dans un train, dans un rêve, au restaurant, sur le sable d'un nuage, sur un trajet de non-retour, c'était, c'était nous
38 déjà je ne te disais plus rien, tu ne me disais plus tu, sans doute avions nous déjà depuis un long temps cessé de nous voir venir, tu disais ?
37 tu m'avais dis : je vais voir et je reviens tu vas voir, je vais voir ce que je peux faire, ne bouge pas voyons je vais voir et je reviens, viens !
36 c'était en traversant la rue tu allais chercher quatorze cigarettes c'est fou les risques qu'on peut se prendre pour quelques cigarettes !
Jacques REBOTIER, Litaniques, L'arbalète Gallimard - 2000
(Extrait également de Une anthologie de poésie contemporaire francophone, Poèmes à dire, Poésie Gallimard)
Grandir, Sophie Fontanel ... Rentrée littéraire
"Ces temps-ci, quand je pense à ce que j'essaie de sauver, je ressens un tel besoin d'aide que ça me fait trembler. Aider quelqu'un, je le sais maintenant, c'est avoir aussitôt soi-même besoin de secours. Et ces jours, je bois toute sympathie comme un buvard, et la moindre bonté me fait l'effet de l'amour. Jamais je n'ai eu autant la conscience des autres, moi qui ai fondé ma vie sur la liberté."
Une mère, devenue âgée, accepte enfin que sa fille prenne soin d'elle quotidiennement... et c'est encore de grandir dont il est soudain question. Comme si pour une enfant, et même à quarante six ans rien n'était encore fini, les possibles encore ouverts. Cette femme qui se penche vers une autre a encore beaucoup à apprendre de la fragilité de la vieillesse, du laisser-faire de l'impuissance avouée, elle ne s'en doutait pas.
Sophie Fontanel est connue généralement comme étant l'auteure du personnage de Fonelle dans ELLE. Dans ce roman, sans doute de l'auto-fiction, l'humour est donc présent, surtout dans les répliques maternelles, mais tellement enrobé de tendresse qu'il touche plus qu'il ne fait sourire. Cependant, ne vous y trompez pas, il n'est pas le centre du récit, seulement une partie de son attrait. Cette histoire est une histoire d'amour entre une fille et sa mère, principalement.
Et l'on pourrait se dire aussi, encore une apologie parentale, une de plus, mais non, voilà, il est simplement un élégant récit sur soi, et les autres, sur la filiation...
Après avoir vécu les failles, les blessures, les fatigues, la narratrice expose le présent, et il est intéressant d'assister aujourd'hui à un moment intime d'apaisement.
Il n'a bien rien d'inutile ce récit, il est universel, il apporte. Je l'ai beaucoup aimé. Il m'a beaucoup touchée.
Une tendre lecture de rentrée et un livre qui aide à grandir, oui. Merci Sophie Fontanel !
Note de lecture : 4/5 - Robert Laffont - 17€ - Sortie le 23 Aout 2010
Challenge 1% rentrée littéraire 2010 : 3/7
Pour Papillon, c'est également une belle surprise !
Le verbe être
"Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n'a pas d'ailes, il ne se tient pas nécessairement à une table desservie sur une terrasse, le soir, au bord de la mer. C'est le désespoir et ce n'est pas le retour d'une quantité de petits faits comme des graines qui quittent à la nuit tombante un sillon pour un autre. Ce n'est pas la mousse sur une pierre ou le verre à boire. C'est un bateau criblé de neige, si vous voulez, comme les oiseaux qui tombent et leur sang n'a pas la moindre épaisseur. Je connais le désespoir dans les grandes lignes. Une forme très petite, délimitée par des bijoux de cheveux. C'est le désespoir. Un collier de perles pour lequel on ne saurait trouver de fermoir et dont l'existence ne tient pas même à un fil, voilà le désespoir. Le reste nous n'en parlons pas. Nous n'avons pas fini de désespérer si nous commençons. Moi je désespère de l'abat-jour vers quatre heures, je désespère de l'éventail vers minuit, je désespère de la cigarette des condamnés. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n'a pas de coeur, la main reste toujours au désespoir hors d'haleine, au désespoir dont les glaces ne nous disent jamais s'il est mort. Je vis de ce désespoir qui m'enchante. J'aime cette mouche bleue qui vole dans le ciel à l'heure où les étoiles chantonnent. Je connais dans ses grandes lignes le désespoir aux longs étonnements grêles, le désespoir de la fierté, le désespoir de la colère. Je me lève chaque jour comme tout le monde et je détends les bras sur un papier à fleurs, je ne me souviens de rien et c'est toujours avec désespoir que je découvre les beaux arbres déracinés la nuit. L'air de la chambre est beau comme des baguettes de tambour. Il fait un temps de temps. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. C'est comme le vent du rideau qui me tend la perche. A-t-on idée d'un désespoir pareil ! Au feu ! Ah ils vont encore venir... Au secours ! Les voici qui tombent dans l'escalier... Et les annonces du journal, et les réclames lumineuses le long du canal. Tas de sable, va, espèce de tas de sable ! Dans ses grandes lignes le désespoir n'a pas d'importance. C'est une corvée d'arbres qui va encore faire une forêt, c'est une corvée d'étoiles qui va encore faire un jour de moins, c'est une corvée de jour de moins qui va encore faire ma vie."
ANDRE BRETON, Clair de terre, Poésies/Gallimard
Je l'aime ce texte, et il ne me désespère pas du tout, bien au contraire ! Pfiou, aujourd'hui l'été était encore partout partout, et surtout dans ma tête.
Le Garçon et la mer, Kirsty Gunn
"Il y a le bruit de la mer, les eaux qui se replient, la marée qui a reflué... Dans le lointain, vers la lumière, vers là où se trouve désormais le soleil, mais où il disparaît lentement de notre vue...
Tu connais ce sentiment. Comme quand tu te tiens seul quelque part, des arbres autour de toi peut-être avec leur ombre pour te protéger, et que tes amis, ta petite bande, te semblent bien loin... C'est l'impression que donne la mer, je crois, quand tu la regardes à cette heure de la journée. Comme si elle était là et en même temps à l'écart, retirée dans son refuge secret, et le lieu d'où elle vient, le lieu où elle va..."
Ward, 15 ans, passe son temps sur la plage, ou dans l'eau, mais aujourd'hui c'est seul qu'il affronte les vagues, ou en compagnie de son ami Alex. Son père, ancienne gloire du surf, ne vient plus se mouiller, il se contente de rester chez lui, de tapoter sur son ordinateur et de titiller gentiment sa mère (une intimité que Ward déteste surprendre).
Le jeune garçon est timide et réservé, il préfère se glisser à l'ombre des pins pour observer le mouvement de la mer plutôt que de répondre à l'invitation de son groupe de se joindre à une fête où l'alcool coule à flot et où les filles déambulent en bikini.
Ward ne se doute pas qu'en cette après-midi de chaleur, la mer lui offrira l'occasion de devenir un homme.
Voici un titre que j'avais noté depuis des lustres sur ma LAL (Liste à Lire). C'est une lecture d'été idéale, à lire en une seule bouchée, elle a la teneur d'une nouvelle, guère plus. Je ne peux pas vous dire que j'ai été subjuguée par cette découverte littéraire mais l'évocation de la mer, des vagues, du surf, de ce que peut ressentir un jeune garçon qui passe soudain de l'enfance à la maturité est assez bien décrit. Le soleil tape, le sel forme des croûtes de sueur sur la peau, les bikinis sont mouillés, les maisons plongées dans le noir pour se préserver de la chaleur, les corps presque offerts, la mer intransigeante, ferme et éducatrice.
Une lecture distrayante, dont les mystères ne sont pas tous résolus, et qui laisse des grains de sable dans la mémoire. A lire pour prolonger ses vacances...
Note de lecture : 3.5/5 -
Editions Points - 5.50€ - Juin 2008
Lou l'a lu, est restée sceptique, et regrette de ne pas avoir retrouvé la magie de l'autre opus de l'auteur, "Pluie" - Pour Clarabel, c'est une récit à apprécier au rythme de la mer ... (on retrouve d'ailleurs sous son billet mon commentaire de 2007, comme quoi il ne faut jamais désespérer de lire un livre !)
J'avais noté Pluie également, et à la même époque, à suivre donc...
Envie de ...
... mettre du blanc partout.
(Mini-rubrique, avec du tout et du rien...juste une envie de, de temps en temps.)
Nevrospiral, Patrick Olivier Meyer ... Rentrée littéraire
"Vous n'êtes pas dans les voitures.
Vous n'êtes pas dans les têtes.
Approchez, approchez encore, entrez dans l'habitacle, vous verrez apparaître les failles et les manques. Les peurs. Les frustrations. Plein phares sur mon cerveau."
Il y a Ian, Samuel, Anita et Richard. Et puis, des blondes, qui passent par là, indifférentes, hautaines, lointaines, imaginées. Ian vit avec une femme brune, Laurène, mais il ne pense qu'à elles, ces femmes blondes inaccessibles, on se demande bien comment il arrive à travailler normalement et à ne pas foncer droit dans le mur. Richard peut les approcher, en tant qu'ex pop star sur le retour, tout est possible, il en profite largement. Anita, blonde, transparente s'inquiète des résultats de son IRM, quitte à laisser ses neveux sans surveillance et à user sa vie sans compter, tout pour ne pas être comme sa mère qui ne la reconnaît plus toujours. Samuel, lui, est rongé de psychoses, à la limite du serial killer qu'il pense être mais qu'il n'ose pas devenir ...
Tout ce petit monde navigue dans un monde coloré et sombre au goût d'un médicament qui ne tient pas toutes ses promesses, le Névrospiral.
Voici un roman très étrange, déjanté, mais vraiment bien écrit, qui nous agrippe par le bras malgré soi. Il est Pop, oui, et moderne aussi, surprenant, curieusement enthousiaste et désenchanté, rempli de contrastes. Il a cette faculté de créer profondément le malaise et de rester pourtant attachant. Nous passons d'un personnage à un autre sans qu'aucun destin ne se croise, et il apparaît très vite à la lecture que Patrick Olivier Meyer mène bien sa barque, drôlement bien pour un premier roman. Peut-être un auteur à suivre de près...
Note de lecture : 4/5 - Calman-lévy - 17€ - Sortie le 18 Août 2010
Challenge 1% rentrée littéraire 2010 : 2/7
Et grand merci aux éditions Calman Levy !
Son nom sur une couverture...
...juste pour voir ce que cela fait.
Un jeu découvert - comme Aifelle et d'autres - chez Mango, et qui a immédiatement séduit la blogosphère littéraire...
Pour s'amuser, c'est par ici. Un petit côté Cadavres exquis, ou apprenti éditeur, assez distrayant je dois l'avouer. Il ne me reste plus qu'à les écrire, ces livres, ...pfiou, pas si simple. Bon, allez, j'ai déjà les titres. ;o) Mon préféré ? La timidité du dragon.
Le secret de Jasper Jones, Craig Silvey ... Rentrée littéraire
"Jasper Jones est venu à ma fenêtre.
Je ne sais pas pourquoi, mais il est là. Peut-être qu'il a des ennuis. Peut-être qu'il n'a nulle part où aller.
En tout cas, il m'a fichu une sacrée trouille."
Charlie Buckin a treize ans. Il fait terriblement chaud dans la petite ville minière de Corrigan où il vit et passe l'été. Une nuit, alors qu'il est plongé dans un ouvrage de Mark Twain, Jasper Jones toque à sa fenêtre, réclamant son aide. Lui, l'intello, suit le fils d'aborigène, le paria de la communauté, en toute confiance, mû par une curiosité irrésistible et flatté d'avoir été choisi. Il découvrira à l'ombre du bush un secret bien lourd à porter.
C'est l'histoire d'un apprentissage que nous conte ici Craig Silvey, celui des désillusions de la maturité, mais aussi celui de la complicité, de l'amitié indéfectible ou de l'amour naissant. Voici, un récit à la sauce Huckleberry Finn, savamment orchestré par un tout jeune australien de 28 ans. Quelques rebondissements, du mystère, de la middle class qui s'épie et se cache derrière ses portes et fenêtres (par crainte du qu'en-dira-t-on), et un roman qui s'avère bien intéressant et dense à la lecture. J'ai passé avec lui un excellent moment, et j'ai aimé tendrement ses personnages.
Une lecture de rentrée dépaysante, enthousiasmante, dont l'atmophère évite avec dextérité la pesanteur, et une bien jolie fable qui met en scène des adolescents en quête de vérité. Presque un coup de coeur !
Note de lecture : 4.5/5 - Calman Lévy - 19.50€ - Sortie le 18 Août 2010