Pour tout dire
En cours de lecture...
"Ce fut par l'une de ces nuits fougueuses d'août que ses yeux à lui vinrent pour la première fois s'immiscer jusqu'au plus profond de son coeur à elle, le transpercer de part en part. Ensuite, le schéma resta le même : ses yeux surgissaient d'on ne savait où, par dessus la table, de sous les draps ou du trottoir d'en face. En général, ils s'insinuaient jusque dans les moindres contours de son cerveau. Pour soudain jaillir des méandres de son vivier de souvenirs qu'elle avait cru aussi résistant aux intrusions que le plus blindé des blockhaus, ce qui s'avérerait poser un véritable problème, cette incapacité à lui fermer les yeux, à lui, car au moment où elle fermait les siens, les autres se hâtaient de s'infiltrer insidieusement pour couler droit jusqu'à son coeur et plus profondément encore en elle, nageant pour mieux se dissoudre de l'intérieur comme au premier soir de ce mois d'août inouï au cours duquel elle s'était déjà, extérieurement, désagrégée."
Pfff...j'adore...et je me régale.
Extrait de Une fois deux de Iris Hanika.
Froid
La lumière est trop claire pour le temps qu'il fait,
Aiguisée et flexible ou cruellement douce,
D'une lucidité trop agile et trop nue,
Trop subtile de fil et trop lisse de grain,
Et le ciel est trop bleu, d'un azur trop épais
Pour un soleil si haut, rayonnant et heureux.
Lisse comme un acier et blanche comme une arme
Illuminante, illuminée, on ne sait trop
Si son chant invisible et qui perd les ombres
Monte ou descend, s'il anticipe ou s'il retarde ;
Mais quand Novembre vrai nous tombera dessus,
Cette musique en nous radieuse et légère
Laissera sa magie et son parfum d'été
Pour récuser les vents mouillés et les jours gris.
Armel Guerne (1911-1980)
Extrait de C'était hier et c'est demain, Anthologie Le Printemps des poètes, Mars 2004
Eluard
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Ciel dont j'ai dépassé la nuit
Plaines toutes petites dans mes mains ouvertes
Dans leur double horizon inerte indifférent
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Je te cherche par-delà l'attente
Par-delà moi-même
Et je ne sais plus tant je t'aime
Lequel de nous deux est absent.
Extrait de L'amour La poésie - 1929
Nous ne sommes pas séparés
Nous ne sommes pas séparés de la Terre
par la construction d'un tombeau
ni par un chant de pierres d'églises, ni par voie
de contemplation
mais perdus, tout entiers perdus dans le grand
paysage
avec ses arbres, ses champs et cette
incompréhensible lumière
Sur le bord de la route où l'ombre est rare
et l'amour incertain
nous ne sommes pas séparés de la vie au milieu
des buissons et des choses communes.
Henry Bauchau
Extrait de "Nous ne sommes pas séparés", Actes Sud, Mai 2006
Valérie Rouzeau
"Je pars le coeur tapant prendre le train en marche
Pile au signal sonore monterai mon bagage avec ma vie entière
Sur les rails je penserai à toute vitesse au bonheur étrange de sentir mon poids de chagrin lancé par des plaines jamais vues
J'apercevrai peut-être un vrai oiseau dont on me dira plus tard que c'était un hiatus
Tant de vide où se jeter qu'on parle de ciel pour remettre les choses à leur place qu'on croit
Un vrai oiseau une authentique joie ça va où
Nous serons bien avancés quand j'aurais posé pour moi cette question waouh
Et cette question de ma peine et des plaines pleines de ma peine et du vent je la laisse en suspens
On m'attendra sur le quai à l'heure exacte je saluerai coucou par la fenêtre j'aurai fait bon voyage
La nourriture sera bonne le lit confortable je n'aurai ni faim ni sommeil mais je ferai comme si parce que ça ne mange pas de pain contrairement aux oiseaux
Puis je repartirai le coeur en miettes toujours tapant et éperdu"
Extrait de Poé/tri "40 voix de poésie contemporaine" chez Autrement, 2001
Cécile Mainardi
"Je suis le capitaine qui sombre avec le livre qu'il écrit. J'écris le livre dont je suis le capitaine à y sombrer avec. Je suis le capitaine d'un livre écrit pour sombrer. Je suis sombre, vous le savez, et j'ai une âme de capitaine. Je sombre avec le livre que j'écris pour en être vraiment le capitaine. A en être éxagérément le capitaine, on peut faire sombrer un livre. Je suis le livre que le capitaine fait sombrer droit dans son axe de capitaine debout (car un livre sans capitaine ne sombre pas, ne peut pas sombrer). Je suis capitaine hélas, et j'ai fait sombrer tous les livres. J'écris sombrement un livre sur le capitaine que je suis, et l'eau commence à le recouvrir. J'écris un livre sur ta blondeur."
Extrait de La blondeur, poème lui-même extrait de Poé/tri "40 voix de poésie contemporaine" chez Autrement, 2001
Une fenêtre où se pencher
Je ne crois plus aux naufrages,
Il y a un masque bleu au fonds de tous les puits ;
Les porteuses de pain se succèdent,
Les vies se souviennent d'autres vies.
Il restera toujours une fenêtre où se pencher,
Des promesses à tenir,
Un arbre où prendre appui.
Quelque part existe le visage de notre terre.
Qui nous dira son nom ?
ANDREE CHEDID
(Seul le visage, 1960)
Les radis bleus, Pierre Autin-Grenier
"Le temps qu'il faut pour faire une phrase ! S'imaginer capable d'en faire une chaque jour ... Délire d'orgueil ! Folie de poète, peut-être..."
Et c'est cette entreprise folle que Les radis bleus retracent, un an de pensées, d'éclats et d'anecdotes...
Se loge dans le journal poétique de Pierre Autin-Grenier beaucoup de mélancolie, car il y est question assez souvent de fin de vie et de douleur. On devine, au détour d'une page, la perte d'un enfant sans doute ; le désir en tous les cas d'une vie retirée, paisible.
Malgré quelques répétitions de thèmes, dues certainement au genre utilisé, j'y ai également trouvé de bien jolis morceaux d'écriture, des réflexions sur l'utilité des poètes et de la poésie aujourd'hui, de l'ironie.
L'exemplaire que l'on m'a judicieusement prêté est truffé de petits bouts de papier !!
Quelques extraits seulement...(parce qu'il faut bien choisir !)
"Jeudi 3 février - Saint Blaise - Toute la nuit cent mille réveille-matin ont marmité à gros bouillons dans ma tête pour mieux m'empêcher de dormir. Au lever, me voici pire qu'une charette de chiens.
Je me régale de toutes ces choses effroyables et bien atroces qui brinquebalent dans ma caboche, pensant en tirer profit pour une page, un poème, une note...
L'heure de la feuille blanche me trouve le crâne creux, vidé de toute émotion. Je connais !... Insaisissables, les bandits voleurs de mots sont venus qui ont tout emporté !"
"Mardi 29 mars - Sainte Gwladys - Il y a comme quelque chose d'inépuisable et d'inachevé dans tout poème. Quelque part un mot console et épouvante, surprend parfois ; mais toujours fait signe et nous appelle. Invite à poursuivre l'immobile voyage.
Surgit soudain l'idée du sang, sans qu'on puisse l'attribuer en bonne raison au poème seul. Ou bien s'exhale une odeur ancienne de buanderie, qu'accompagne aussitôt le souvenir fragile de vieilles lessiveuses en ferblanterie. D'autres fois, c'est un ciel du même bleu que la nostalgie qui doucement se découvre, et vous porte à rêver...
Ainsi le lecteur affranchi peut-il prendre sa propre part à l'existence même du poème. Parce que loin de contraindre et d'enfermer dans le mot, la poésie - toujours - tient les portes de la vie larges ouvertes."
"Dimanche 3 avril - Pâques - Jamais nous ne mettons de nappes sur la table. Toujours nous la tenons bien cirée, brillante et lisse. C'est dommage, parfois, cette absence de nappe. En en soulevant un coin on pourrait en effet facilement voir, par en dessous, les jours passer."
"Dimanche 23 octobre - Saint Jean - Oh là là!..." (ma préférée parce que inattendue ;o))
"Vendredi 25 Novembre - Sainte Catherine - Rien n'est plus simple que le linge qui sèche sur le fil tendu entre le cerisier et l'acacia. La mésange qui se pose, légère, à côté des serviettes à carreaux rouges et bleus a tout compris. Et la voilà qui s'envole avec le vent faisant un instant vraiment bouger la vie.
Le front contre la vitre, l'oeil loin au-delà, on prend ainsi l'exacte mesure du temps. Toute gesticulation devient vite dérisoire quand on sait le discret travail de l'arbre, l'infinie persévérance des hautes herbes, l'ombre qu'il faut encore au jour pour lentement devenir la nuit.
Ils ne savent pas, ceux qu'une telle sagesse porte à sourire, quelle rare patience réclame chaque aube nouvelle et que vouloir forcer l'allure ne mène jamais nulle part."
"Samedi 31 décembre - Saint Sylvestre - Minuit, je jette un truc complètement cassé dans un lit en cage de fer et finalement le truc y trouve un sommeil qu'il voudrait sans réveil. C'est moi."
Sa bibliographie et un texte à lire sur remue.net - On peut l'entendre et le voir sur le site du Matricule des Anges