Comme frère et soeur, Clémence Guinot
"En juin prochain, je vais jouer Antigone ; enfin, on monte la pièce au collège, et c'est moi qui serai Antigone."
Quand le père de Cléo décide d'emménager avec la mère de Marin, ce sont en réalité deux familles qui s'installent sous le même toit, deux adultes, trois filles et deux garçons. Cléo et Marin sont les aînés de chaque fratrie. Cléo est au collège, en troisième, en route pour le brevet, et Marin est au Lycée. La cohabitation est au départ tendue, puis à la fois étrange et assez réussie. Les deux adolescents apprennent à devenir complices tandis que les plus jeunes donnent à la maison une atmosphère de candeur contagieuse. Au collège, Cléo rêve d'être celle qui jouera le personnage d'Antigone dans la pièce du même nom. Marin dessine beaucoup, en compagnie de son ami Simon. Mais comment rester seulement frère et soeur quand on apprend à mieux se connaître, à s'apprécier, et que peu à peu d'autres sentiments se nichent dans ce lien qui n'a pas vraiment de nom ?
Ma fille de quinze ans a lu ce roman pour adolescents avant moi et l'a beaucoup aimé. C'est elle qui m'a donné envie de l'ouvrir. Elle m'a dit que c'était utile de parler de ces familles recomposées, que cela arrive, et que forcément il était particulier de vivre avec des personnes étrangères et non choisies. Nous en avons profité pour discuter justement de ces intimités parfois cruellement éphémères qui ne débouchent le plus souvent sur aucun lien légal. Personnellement, j'ai surtout apprécié d'emblée retrouver dans ce roman jeunesse le personnage d'Antigone, comme un clin d'oeil agréable. En dehors de ce point, très personnel, voici un roman avant tout simple et sympathique, qui sait rester très juste, qui met en avant l'amitié, et qui a le mérite d'aborder un sujet sensible. J'ai aimé qu'il ne tombe pas dans des ornières de facilité mais qu'il reste réaliste et attachant.
Editions Magnard - 12.90€ - Septembre 2016
Le Quatrième mur, Sorj Chalandon
"Et voilà. Sans la petite Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles."
Le quatrième mur, c'est cette illusion créée par les acteurs sur scène, ce mur invisible, qui permet d'accepter le caractère fictionnel de la pièce et d'oublier la présence des spectateurs. Dans la pièce d'Anouilh, seul le personnage qui représente Le Choeur s'adresse au public, il brise l'illusion, présente les personnages, raconte, anticipe, est en marge, unique messager de la mort.
"Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. Antigone, c'est la petite maigre, qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune-fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son Oncle qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout."
Samuel a eu comme projet fou de monter la pièce d'Anouilh à Beyrouth, et de faire de la petite maigre un étendard de paix, juste pour quelques heures. Il croit au pouvoir de ce personnage, qui a déjà fait ses preuves. Il a trouvé son casting, des acteurs prélevés dans chaque camp, parfois ennemis. Mais il est à l'hôpital, très mal, en France, incapable de mener son rêve à terme. Alors, il fait appel à son ami, son presque frère, et l'envoie là-bas en février 1982, juste avant que la guerre et les massacres n'éclatent et bouleversent à jamais le destin de ce père de famille tranquille.
Vous vous doutez sans peine que je me suis sentie à la maison dès la première page de ce roman. Et il est vrai que dans son livre, Sorj Chalandon a fait d'Antigone son fil rouge. Mais attention, il n'y est pas question que de théâtre. Le quatrième mur explore avec brutalité le thème de la guerre et de l'amitié, thèmes chers à l'auteur, et ce sont ces thèmes qui portent véritablement le texte et lui donnent une force à la fois émouvante et terriblement éprouvante. Je n'avais pas été très séduite par Mon traître, mais malgré un style similaire cette fois-ci le charme a pris. Les bombes explosent tout près de notre oreille, nous pleurons de désespoir avec les survivants devant des corps mutilés, la poussière assèche nos pupilles, la vie connue bascule et perd peu à peu de sa substance. Le monde entier semble tourner à la tragédie alors que s'entendre et se parler paraissait hier presque simple, réalisable. Pourtant, en France, la vie continue, docile et pâle. Aurore a peur, attend que le père de Louise revienne et s'installe dans leur quotidien étroit. Qui en serait capable ? Un livre de poche, troublant, qui laisse son lecteur exsangue. A découvrir, indubitablement.
Editions du Livre de Poche - 7.10€ - 20 août 2014
D'autres lectures sur Babélio [clic ici]
I Love You like A Love Song Baby
[Complètement fascinée par ce clip depuis quelques jours - Pouvoir danser comme ça] Sinon, pendant ce temps, je lis Le Quatrième mur de Sorj Chalandon. J'étais passée à côté de ce titre en grand format, alors qu'il n'est question à l'intérieur que de l'Antigone d'Anouilh. Comme je n'avais pas été touchée par Mon traître, ceci explique sans doute cette étrange impasse, mais l'auteur a su avec ce sujet titiller enfin ma curiosité en format poche (mon billet bientôt). Par ailleurs, et plus particulièrement du côté de la rentrée littéraire, je suis noyée parmi les livres, et débordée, mais chaque roman trouvera certainement son tour et sa place, je ne m'inquiète pas tellement, seulement pour mon nouveau et étroit bureau sur lequel un building commence à s'échaffauder (gloups). Et puis, je continue avec succès dans mes bonnes résolutions d'avancer à mon rythme, alors tout va bien. Bon week-end !
Antigone... de Jean Anouilh
J'ai profité de quelques heures de solitude pour regarder cette pièce (en DVD) de Nicolas Briançon que je n'avais jamais vue, avec Barbara Schulz dans le rôle d'Antigone et Robert Hossein dans celui de Créon. C'était bien.
Le jeu de Barbara Schulz est parfait, elle incarne de manière très crédible le personnage je trouve. Son émotion est véritable et visible. Robert Hossein est Robert Hossein mais là plutôt dans la retenue, ce qui est mieux.
Et puis, j'ai apprécié aussi l'interview de l'actrice en bonus. Elle insiste sur le fait qu'il ne faut pas réduire la force d'Antigone à celle d'une adolescence en crise (j'approuve !). La jeune fille étant la représentation symbolique de tous ceux qui savent dire non, avec courage... et peur.
Un extrait.
DVD chez Copat - 2011 - Grand merci à mes prêteurs !
Père d'Antigone
... lui aussi, via entre autres le superbe roman qu'il lui avait dédié en 1997, Henry Bauchau est décédé il y a quelques jours à l'âge de 99 ans.
Je lui devais un mot sur ce blog, pour tout l'amour que nous partagions pour ce personnage mythique qu'est Antigone, pour la lumière qu'il a su donner à sa personnalité, sans la dénaturer, pour la force que son écriture a donné aux pas de cette jeune-fille qui prend la route à la suite de son père Oedipe, pour la personne passionnée qu'il semblait être.
"Oui, moi Antigone, la mendiante du roi aveugle, je me découvre rebelle à ma patrie, définitivement rebelle à Thèbes, à sa loi virile, à ses guerres imbéciles et à son culte orgueilleux de la mort.
Par un soudain désillement des yeux je vois que c'est le sens profond de toute ma vie. Si j'ai suivi Oedipe c'était pour lui apprendre - ce que j'ignorais, ce que je n'aurais jamais osé penser sans ce dernier crime de Créon - pour lui apprendre, oui moi, sa pauvre Antigone, à devenir ce qu'il était."
Extrait de Antigone, Henry Bauchau, Editions Actes Sud, 1997
Sous l'Oeil d'Oedipe...
Hier au soir, j'étais au théâtre pour assister à la représentation de Sous l'Oeil d'Oedipe, une version du mythe orchestrée par Joël Jouanneau. 2h30 en compagnie de la maison des Labdacides, et plus particulièrement du personnage d'Antigone, comment manquer cela ?!
L'intérêt de ce spectacle est de brosser l'ensemble de l'histoire sanglante de cette famille maudite, auparavant éparpillée en plusieurs écrits, et de partir de la révélation de la souillure suprême (Oedipe coupable d'inceste et de parricide) pour clore le drame par la mort d'Antigone.
J'ai apprécié ce spectacle malgré sa longueur. Je suis seulement un peu chiffonnée que l'amour qu'Antigone porte à son frère Polynice soit transformé ici en amour incestueux...mais cela donne une structure logique à l'ensemble (donc passons)...et que son combat soit dans la pièce sommairement et rapidement brossé (ici Oedipe garde la vedette, c'est ainsi).
Jacques Bonnafé (Oedipe), Hedi de Clermont-Tonerre (Tirésias) et Mélanie Couillaud (Euménide) m'ont particulièrement bluffée, j'ai été moins séduite par les autres acteurs, mais on se fait toujours une image personnelle et physique des personnages de papier, alors cela me semble aller de soi.
"Sous l'oeil d'Oedipe n'aurait pu s'écrire sans Sophocle et Euripide. N'entendant rien au grec ancien, je n'ai pu les rencontrer que par leurs traducteurs. Ce sont eux qui ont guidé les premiers pas de mon voyage intime au coeur du mythe, je tiens donc à tous les remercier. Il reste que plus de vingt-cinq siècles me séparent des deux poètes grecs. C'est très peu, certes, cela donne du moins le temps de lire." Joël Jouanneau
Antigone 256, Jacques Cassabois
Ce titre des éditions Hachette Jeunesse est une petite curiosité à laquelle je n'ai pas pu résister...
Il s'agit cette fois-ci encore de la retranscription du mythe d'Antigone, mais ici sous forme de prose.
Jacques Cassabois se place dans la lignée de ses illustres prédecesseurs, vingt cinq siècles après sa création (seule explication que j'ai trouvée au nombre 256 étrangement accolé au prénom, en titre). Il cite notamment et en préambule Jean Anouilh, Bertolt Brecht, Jean Cocteau, Jacques Derrida, Eschyle, Euripide, Robert Garnier, Robert Graves, Goethe, Hegel, Hölderlin, Jung, Kierkegaard, Bernard-Henri Lévy, Conor O'Brien, Charles Maurras, Jean Racine, Karl Reinhart, Sophocle...mais semble oublier Henry Bauchau (?!).
"Deux frères s'affrontent et s'entretuent. L'un a le droit à des obsèques, l'autre est livré aux bêtes sauvages. Ainsi en a décidé leur oncle, le roi Créon. Mais leur soeur, Antigone, refuse cette loi. Elle se dresse, seule, fière, fragile. Antigone ! Fille d'Oedipe ! L'héritière ! La petite."
Bien évidemment, je n'ai rien appris de neuf en parcourant cette nouvelle version d'Antigone, et l'écriture de Jacques Cassabois m'a semblé relativement exempte d'émotions. Cependant, ce texte ne m'a pas pour autant laissée de marbre. Il a un intérêt, celui de bien expliquer les tenants et aboutissants du choix d'Antigone : permettre à Polynice de bénéficier des rites funéraires que son oncle lui refuse. Il met également en perspective la politique de dureté de Créon.
Thèbes est l'enjeu. La ville a été le théâtre de l'inceste d'Oedipe, de sa fuite, de la bataille fratricide des ses fils pour le pouvoir. Pour Créon, Thèbes a besoin d'un maître, à la poigne ferme, sans concessions. La tragédie s'accomplissant, il ne pourra que s'en mordre les doigts...
"Un piège...marmonne-t-il. Je suis tombé dans un piège. Vouloir l'ordre, le bien public, et se laisser entraîner, choix après choix, par fidélité à un projet, à répandre le désordre, jusqu'au chaos dans sa propre famille... Vanité de l'ordre... vanité des projets et des conquêtes... vanité suprême du bien... Gouverner, décider, imposer le respect des lois pour que vogue le navire de la cité... et payer son exigence avec son propre sang... vanité, vanité..."
J'ai été un peu surprise que l'affrontement entre Antigone et son oncle soit reproduit sur une très courte durée, et que ce soit Hémon, fiancé de l'héroïne, qui porte devant lui le drapeau de l'opposition, mais quelques scènes sont assez fortes et l'ensemble plutôt une bonne approche du mythe...
ISBN 978 2 01 201203 5 - 12€ - 08/07
Une lecture chez Ricochet-Jeunes - C'est un livre "non lu" pour Nulle et je comprends son énervement ;o) - Lionel Labosse en fait ici une lecture très érudite...et pointe du doigt quelques erreurs.
Antigone, Aliette Armel
Aliette Armel n'écrit pas que des romans...
En collaboration avec d'autres auteurs, elle est également à l'origine de cet ouvrage très intéressant qui traite de la figure mythique qu'est "Antigone".
(Un titre malheureusement épuisé chez l'éditeur mais certainement présent dans beaucoup de bibliothèques.)
Cet essai, inscrit dans la collection "figures mythiques" des éditions "autrement", a le mérite de remettre dans le contexte de chaque époque les différentes versions de la pièce, inventée par Sophocle,...et de donner à comprendre le rôle que sa représentation a pû parfois jouer dans l'histoire avec un grand H, et dans les histoires de chacun, notamment celle de Henry Bauchau (auteur d'une version romancée du mythe).
"Antigone est une création totale, un mythe forgé dans l'imagination de Sophocle puisant dans des légendes ancestrales mais préservant la liberté de notre imaginaire. "Antigone n'a jamais existé, rappelle Jacques Lacarrière, donc, chaque fois qu'on parle d'Antigone, on parle de nous." La richesse de sa personnalité est inépuisable. Elle se révèle, vingt-cinq siècles plus tard, fascinante dans ses contradictions, son énergie adolescente et son attirance pour la mort, sa beauté intérieure dans un physique décrit comme ingrat, son impuissance à accomplir sa féminité, sa droiture inébranlable et sa disparition "sans pleurs, sans parents, sans les chants du mariage." Elle se dresse avec une pureté nouvelle, inspirant terreur et pitié. Elle étonne et subjugue, connue autant qu'Oedipe, mais plus proche et familière que ce père devenu le symbole écrasant du concept central de la psychanalyse."
Quelques Antigones connues - Sophocle, Jean Anouilh, Bertold Brecht, Henry Bauchau, Jean Cocteau, Walter Hasenclever, Charles Maurras et Paul Zumthor...
Qu'elle soit perçue comme lumineuse, rebelle ou simplement humaine, ce personnage d'adolescente frondeuse réveille ce qu'il y a de plus profond en chacun des auteurs qui l'ont côtoyée, quelque chose de vivant, mêlé d'un espoir salvateur et paradoxal...
"Si vous vous réveillez la nuit en récitant une vers d'Antigone particulièrement quand vous êtes déjà un peu vieux, fatigué, et qu'au milieu de la nuit, ça vous réveille, que vous avez ça, que vous le dites et le prononcez, un temps entre le sommeil et la veille, comme il devait être prononcé... ça fait quand même un alexandrin sauvé de sa douleur et de ses insuffisances... Alors, c'est qu'il y a une continuation possible, un avenir."
(Pierre Boutang/George Steiner, Dialogues. Sur le mythe d'Antigone. Sur le sacrifice d'Abraham.)