Les autres
Un moment d'éternité !
Camions et voitures glissent devant moi dans un chuintement mouillé. Il pleut. J'attends. Pour l'instant, je suis seule, presque toujours la première au pied de cet arbre.
Je sens les gouttes de pluie s'aplatir sur mes cheveux, s'insinuer dans mon cou, mouiller mon pantalon en toile grise, le rendre lourd.
Du bout des doigts, je touche au fond de ma poche le petit rectangle dur d'une capuche pliée. Quand ma mère me l'a donné, il y a quelques jours, comme un présent précieux, j'ai eu envie de vomir. Panoplie de mémère !
Comme si TOUT n'était déjà pas assez suffisant.
Les "autres" sont de l'autre côté de la rue, eux aussi têtes-nues. Ils traversent. Leurs cheveux sont propres ; ils brillent. Les quelques gouttes qu'ils reçoivent font délicatement boucler leurs mèches rebelles. Le bus ne va plus tarder. Les "autres" n'ont pas peur. Ils ne se sentent pas sales. Ils jouent à "je te regarde le plus longtemps parce que je suis le plus fort". C'est vrai, ils sont plus forts, ils sont cinq, et je suis seule.
Le bus est en retard. Lorsque nous arriverons, la cour sera vide d'élèves. Il faudra frapper à la porte de la classe, s'excuser, voir leurs regards s'attarder sur mon pantalon bon marché, puis glisser sur moi comme sur une page vide.