Un renard à mains nues, Emmanuelle Pagano
"Maman détestait surtout consommer, et même les livres elle ne voulait pas les acheter. Le seul bien matériel qui coûtait bonbon à la maison était un ordinateur et nous y avions tous une session privée pour nos propres conneries, révolutions, créations, informations. Il ne fallait pas dire à maman pour les variétoches piquées sur internet, mais je crois qu'elle s'en doutait, de nos coeurs de midinettes. De nos tentations. Se divertir elle ne voulait pas en entendre parler, mais elle nous laissait faire du moment que c'était à peu près en cachette, et que nous avions conscience que ces choses qui se laissent regarder, ces choses qui se laissent lire, c'est juste pour du jeu."
Un renard à mains nues est un recueil de nouvelles, mais d'un genre bien particulier, encore jamais croisé jusque-là. Certaines de ces nouvelles ont auparavant été publiées ailleurs mais toutes ont été retravaillées ou remaniées. Ce qui est particulier est cette manière de croiser et de re-croiser des personnages au fil des textes. Le point de vue change avec le narrateur, des morceaux d'histoires sont conservés, d'autres réutilisés partiellement, et c'est comme si le lecteur était spectateur du travail d'écriture d'Emmanuelle Pagano. C'est une approche étonnante et passionnante d'un genre souvent trop galvaudé...
J'ai aimé retrouver cette auteure que j'aime dans ce livre-là, très dense, généreux. Son univers y est intact, il commence à m'être familier. Je m'en sens proche. Moins crue et sensuelle que dans ses précédents romans, la vie y est pourtant, et de la même manière, à proximité de la nature, parfois cruelle, physiquement rude, remplie de personnages en marge, de rencontres et de sensibilités lumineuses.
Je connaissais déjà Le guide automatique ou La maison-message. J'ai beaucoup aimé La décommande, qui conte l'histoire d'une femme invitée par erreur à un mariage et que la noce expulse avec impolitesse.
La lecture de ces nouvelles demande du temps et également de la disponibilité d'esprit, celle que l'on retrouve avec bonheur pendant les vacances par exemple... Lire Emmanuelle Pagano est toujours un moment privilégié, et assez unique, je suis heureuse d'ajouter ce livre à ma bibliothèque.
"Les personnages de ces nouvelles ne se trouvent pas au milieu du récit, ils restent dans les marges, ils se tiennent au bord de leurs vies, de leur maison, de leur pays, ils marchent au bord des routes, à côté de leur mémoire, à la lisière de l'ordinaire et de la raison, comme il leur arrive de faire du stop : au cas où on s'arrêterait pour les prendre, je les ai pris dans mon livre." E. Pagano.
Editions POL - 19€ - Avril 2012
Un billet de L'Express assez bien fait par ici - Et un autre sur le site de TV5
La fiche du livre et d'autres liens sur le site de l'auteure