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Les lectures d'Antigone ...
Ardoise magique

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Ben oui, à mon tour, j'ai craqué !

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15 février 2016

Comme un rempart (atelier d'écriture)

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 J'ai mis ma jupe rouge ce matin, celle que je mets rarement, parce qu'avec elle je me sens vulnérable. Je sais que c'est idiot, mais il faut être une fille pour comprendre ce mélange d'envie de féminité qui parfois nous prend au réveil, et cette certitude de ne pas passer inaperçue. J'ai mis des collants noirs et mes petites chaussures d'hiver. Dehors, il fait froid. Avec mon bonnet, mon manteau droit et mon air renfrogné, je pense être tranquille. Je me déteste de réfléchir à ça. Mais sur le chemin de la faculté, entre ma résidence, et le parking étudiant, les filles se font régulièrement harponner, pour un sourire, quelques sous, une cigarette. T'es jolie mais tu fais la gueule, m'a-t-on dit souvent au passage, dommage, j'aurais bien pris ton numéro, mademoiselle. Hier tu m'as reproché de m'habiller comme un garçon manqué, avec mes jeans et mes pulls longs dont je tire les manches sur mes poignets. Tu m'as reproché de vouloir disparaître. Tu m'as demandé à quoi ça sert, ce camouflage ? J'ai eu l'impression que je commençais à moins te plaire que dans cette boîte il y a trois mois, cette soirée où tu m'avais trouvée si sexy. Dans ce café bruyant où nous avions trouvé refuge, ton regard passait d'un groupe à l'autre, s'attardait sur un dos réhaussé de dentelle ici, sur des jambes fines là, et puis sur d'autres chevelures lumineuses que des mains lourdes de bagues attrapaient prestement et montaient en chignon. Je ne suis pas ce genre de femme, et pourtant je les envie, j'envie l'insouciance qu'elles assument. Ce sont des guerrières. A quoi ça sert ce camouflage ? A quoi ça sert donc cette peur d'être jolie, qu'on me remarque ? Ce matin, j'ai donc mis ma jupe rouge, celle dans laquelle je me sens belle. Je ne l'ai pas fait pour toi, je l'ai fait pour moi. Hier soir, j'ai mis fin à notre relation. Je mérite que l'on vienne me chercher sous mon pull et les cheveux qui tombent sur mon front. Te quitter comme ça, sur un coup de tête, m'a vidé le corps, me fait un peu trembler aujourd'hui et perdre l'équilibre. J'espère ne pas croiser au dehors ces types qui semblent attendre le moindre jupon, s'agglutinent et forment comme un rempart sur mon chemin. Je n'ai pas envie de lutter, faire l'effort de répliquer quelque chose pour m'en débarrasser. Les croiser tous les jours est une épreuve indescriptible. Je voudrais seulement pouvoir marcher dans la rue, ne pas redouter d'être une femme, porter ce que je veux et que l'on me laisse tranquille.

Un texte écrit pour l'atelier d'écriture de Leiloona mais cette semaine, l’atelier prend une autre dimension et sort du cercle du net. Comme l’an dernier, Framboise a proposé de collaborer avec elle à un projet.  

Comme l’année précédente, nous organisons sur l’Université de Toulon, une manifestation autour de la question du sexisme et du harcèlement de rue. Vos textes feront l’objet d’une exposition durant toute la semaine. Et, pour illustrer notre débat (qui clôturera une semaine d’évènements culturels) vos textes seront lus sur scène par des étudiants de l’atelier théâtre.

Deux contraintes pour cet atelier : écrire à partir d’une photo et d’une thématique : le harcèlement de rue.

Les autres textes sont à lire ici [clic]

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8 février 2016

T'attendre (atelier d'écriture)

paris-la-belle

 Je me suis enroulée dans mon écharpe. Mon nez au dessus de la laine est froid, et brille un peu. Je t'attends. Je sais que tu vas arriver, tu n'es jamais en retard. C'est ce que j'aime d'ailleurs chez toi, c'est bête, cette ponctualité, le fait que jamais tu ne me laisses tomber dans l'angoisse de l'attente, tu ne voudrais pas. Je suis arrivée en avance, je me suis assise sur un bout de trottoir, la pierre est dure et gelée sous mes fesses, je sens sa dureté à travers mon jean. Je devrais me lever, marcher un peu, mais je reste assise. La vue que j'ai d'ici est belle, comme un tableau. Bouger ferait se transformer l'image, ce serait dommage. Plus bas, la Seine est aussi transie que moi, immobile. Au loin, la Tour Eiffel, la Grande Dame, semble attendre la nuit, un rendez-vous, ou que la journée passe. Elle se dresse sur le bleu du ciel, sombre et droite. J'aime quand le ciel se transforme ainsi, prend son air de entre chiens et loups. C'est l'heure des possibles, de l'inattendu. Et même si rien ne se passe, il y a comme un frisson dans l'air qui espère. T'attendre, c'est savoir déjà tes bras autour de moi, la chaleur de tes lèvres sur mon nez, puis sur ma bouche, l'étreinte. T'attendre, c'est être déjà avec toi. Ensuite, nous irons tous les deux marcher dans les rues, et si je glisse sur les pavés, tu me tiendras la main, comme tu le fais souvent. Tu me demanderas peut-être si j'ai oublié mes gants, si je préfère que nous allions moins vite. Ton pas s'accorde toujours au mien. Les secondes s'égrennent, tu ne vas pas tarder. Et je chiffonne entre mes doigts un coeur de papier qui s'est envolé jusqu'à ma chaussure, un reste de mariage sans doute. Le rose vif du confetti se détache violemment sur le bleu alentour, la nuit qui tombe doucement.
J'espère trouver les mots tout à l'heure, ceux qui disent je t'aime, je souhaite, et ceux qui disent pardonne moi

Crédit photo Leiloona - texte de fiction pour son atelier d'écriture Une photo quelques mots [ici]

11 janvier 2016

Parenthèse (atelier d'écriture)

atelierjanv2016Je voulais revenir à toi, inventer une fin heureuse à notre histoire, alors je t'ai cherché. Et je suis venu te dénicher dans cette ville de bord de mer que je connais si mal, celle où tu es né. Je t'ai trouvé facilement, dix ans que je ne t'avais pas vu. Je suis comme ça moi je n'arrête jamais rien, jamais d'aimer, jamais d'y croire, je suis tenace. Je n'avais pas prévu ta famille, le bonheur évident de ce que tu avais construit depuis moi. Je voulais surtout que quelqu'un me regarde, être importante, belle. On n'imagine pas ce que c'est que de devenir transparente pour les autres. La solitude qui creuse en soi des rigoles de détresse. Être une amie, une collègue, une connaissance, mais n'être pas vue. Je me suis souvenue de ton regard sur moi, combien il me rendait légère, me donnait l'impression d'être un lutin magique, une fée. Hier, je voulais redevenir cette femme que tu avais aimé, me souvenir de ça. Et c'était étrange de te voir là, un peu vieilli, un peu plus épais, mais toujours le même, surpris de me voir débarquer sans prévenir, mais souriant, absolument souriant. Je t'attendais à la sortie de ton travail. Tu n'avais pas d'obligations, ça tombait bien, nous sommes allés prendre un café. Tu me donnais d'emblée, comme ça, ta bonne humeur, ton temps, et l'atmosphère confortable de ce lieu où tu m'as emmenée. Je me suis tout de suite sentie mieux, comme si tu avais su ce que j'attendais réellement, ta complète attention. A la fin de notre échange tu m'as serré longuement dans tes bras, et il y avait la douce chaleur de tes bras, ton odeur. Je ne savais pas avant de venir ici que j'aurais donné ma vie pour un tel câlin, que c'est ce dont je rêvais. Parfois, la vie est simple. Parfois, un geste suffit. Et tu as dis les mots que je voulais entendre, que tu m'aimais encore, que j'étais toujours séduisante, que si la vie avait été différente tu m'aurais certainement suivi dans cette chambre d'hôtel dont je te vantais la vue magnifique sur le port. Mais tu étais fidèle, tu aimais ta femme, et les deux petites filles que vous avez eu ensemble. Mon tour était passé, il aurait suffi d'un rien pour que cette vie soit aussi ma vie. Il aurait fallu qu'il y a dix ans je sois prête. Avant de me quitter, tu m'as remis une mèche de cheveux sur l'oreille et tu m'as dit qu'il y aurait un autre homme pour moi, que tu en étais certain. Et c'est ce que j'ai emporté avec moi dans le train du retour, après avoir regardé une dernière fois par la vitre de ma chambre l'océan gris et bourru comme un père que tu contemplais aussi chaque jour, ta certitude.

Une sublime photo d'Ada, de l'imagination, et au final un texte écrit pour l'atelier d'écriture de Leiloona [clic ici]

9 novembre 2015

Livre #6 (atelier d'écriture)

atelierdecriturenov15

 Je m'effondre. Je griffe mon carnet d'une grande écriture qui ne me ressemble pas. Je n'ai pas pu reporter plus longtemps mon tête à tête avec toi. Tout à l'heure, tu m'as repris le bras, tes doigts puissants serraient mon pull et ma peau. Tu m'as bloquée contre la porte, tu as approché ton visage tout contre le mien, je ne te reconnais plus. Qu'est-ce que tu fabriques Lisa ? Si Marie s'aperçoit que nous ne nous entendons plus je ne donne pas chère de notre peau à tous les deux dans ce travail. Alors je t'ai tout expliqué et j'ai hurlé je crois, mon incompréhension, et puis ta distance, ton silence, ta présence ici, ma situation, notre amitié par terre. Tu es devenu très blanc tout à coup, tu t'es éloigné. Je ne peux rien te dire Lisa. Et tu es parti. Je suis rentrée bouleversée à la maison. Tom était là. Je l'ai serré très fort contre moi, trop fort, je sentais ses petits os contre mes bras, la douceur de ses cheveux contre ma joue. Mon enfant. Il m'a dit un incompréhensible Je sais maman qui m'a bouleversée davantage. Mon enfant lumineux. Il y a des jours où il est tellement difficile d'être mère, d'être forte pour deux, où l'enfant que j'étais moi aussi, avant, cherche des bras pour pleurer, se trompe et se sent misérable. Pardonne moi mon chéri je suis épuisée. Et j'ai embrassé Tom sur le front, et j'ai repris très vite mon rôle, mes larmes séchaient durement sur ma joue tandis que je lui posais des questions sur sa journée, ses cours, l'école. Mon fils. 

Lorsque j'étais très jeune je voulais tout faire, tout essayer. Le monde s'offrait à moi comme un panel merveilleux d'activités à tester. Mes camarades s'étaient inscrites à un cour de danse classique, j'ai fait pareil. Tous les mercredis après-midi, nos petites silhouettes graciles vêtues de rose clair se tenaient côte à côte, essayant de bien faire, d'écouter la voix un peu sévère qui donnait des ordres, le corps qui tentait de suivre, un peu gourd, de reproduire, la grâce qui manquait, la lumière trop vive qui inondait la salle, le miroir absent, la barre très longue sur un seul pan du mur, la vue sur le lotissement. Tout était vétuste et sentait le à peu près. Je n'étais pas à ma place. J'ai pris ce soir après le dîner cette photo dans mes mains, celle où j'arborais ce grand col blanc, le tutu, mes cheveux tirés en chignon. Déguisée en petit rat de pacotille pour un spectacle de fin d'année, le trac au fond de l'estomac, les bras raides. Je voulais être une petite fille comme les autres. Je sais aujourd'hui que je voulais aussi être aimée, que mon père me trouve belle, qu'il me remarque. Voeu pieu. La danse ne l'intéressait pas. Les petites filles sans charme non plus. Après cette soirée, les courbatures, la déception mêlée aux grattements provoqués par la tulle enroulée autour de mon cou, j'ai changé de tactique. Je me suis intéressée à Stevenson, à L'île au trésor, aux aventures que les jeunes garçons poursuivaient dans les livres tandis que les jeunes filles restaient à la maison. J'ai voulu que ma mère coupe mes anglaises, j'allais me démarquer de mes petites soeurs, atteindre autrement le coeur sec du père, devenir un garçon. L'Histoire raconte que le coeur est resté sec et que la petite fille est devenue une femme bancale. L'Histoire raconte également que depuis je recherche quelqu'un dans l'affection que je porte aux hommes, la douleur et la déception en sont d'autant plus blessantes. J'avais confiance en toi.

T'écrire, écrire, poser des mots sur ce que sont mes journées apaise un peu la tension du quotidien. Mais je crois que je t'ai perdu. Et que tout à l'heure tu m'as fait peur.

Une photo (de Romaric Cazaux), une inspiration, beaucoup d'imagination, et au final un texte, qui commence à faire une histoire, qui commence à ressembler à un livre... tout ça pour l'atelier d'écriture de Leiloona [clic]. 


(Les épisodes précédents ici :  Livre #1 - Livre#2 - Livre#3 - Livre #4 - Livre #5)

1 novembre 2015

Livre #5

laurentBDvignette1
Il n'est pas simple à assumer mon silence. Je sens parfois ton regard peser sur moi, rempli d'interrogations. Et plus le temps passe et plus je te suprends à me contempler ainsi. Hier, tu as aggripé mon bras, alors que je m'apprêtais à partir au terme d'une journée plutôt calme, une journée pendant laquelle nous avions travaillé l'un à côté de l'autre sans se parler. Tu voulais savoir pourquoi je passais mon temps à te fuir. Que se passe-t-il ? J'ai hésité à tout déballer à tes pieds, la vérité, mais si je te disais tout ce que mon coeur contient, ma colère serait telle qu'elle envahirait l'atelier, qu'elle te clouerait sur place, n'est-ce pas ? J'ai préféré dégager mon bras, te murmurer que tout allait bien, que ce nouveau travail me stressait un peu, qu'il fallait recommencer à zéro, que pour Marie qui me faisait confiance je préférais rester concentrée. Rien sur notre amitié. Rien sur ces mails que je ne t'envoie plus. Rien non plus sur ta présence si étonnante sur ce projet, une présence qui me questionne et qui me blesse. Commences-tu à ressentir quelques regrets ?

A la maison, mes cahiers et photographies ont finalement trouvé refuge dans mon antre. J'ai pris l'habitude de me terrer après le dîner au creux de mon lit, un crayon au coin de la bouche. J'ai repris l'écriture avec constance. Tom en profite pour regarder ses émissions bruyantes à la télévision. J'entends au loin les voix assourdies d'animateurs hystériques. Il vient ensuite me souhaiter bonne nuit, un oeil sur ce que je fais, un autre sur mon visage. Tout va bien maman ? Je sais qu'il s'inquiète. Lui aussi s'étonne de ton absence soudaine, et de ma nouvelle lubie. Je le rassure avec un baiser bruyant au creux de sa joue, un baiser qui le ramène instantanément à l'enfance, je le sais. Son gloussement amusé l'emporte avec légèreté vers sa chambre et vers le sommeil, tant mieux. Chaque soir je plonge dans mes souvenirs, j'extraie les scènes marquantes, je pose sur le papier des atmosphères, des moments. Tu n'y es pas. Et l'espace que je crée ainsi, qui existe et devient vivant sous ma plume, me permet de tenir le coup, de maintenir à distance l'angoisse de perdre de nouveau mon travail, me permet de te garder au loin. 

La librairie de Marie ouvre ses portes dans quelques semaines. Il est prévu que nous passions les prochains jours à monter des étagères, les livres commencent à arriver. J'ai reçu de gentils messages d'encouragements de la part de représentants que je connais bien. La confiance réciproque sur le travai fourni auparavant, la personnalité de Marie, son réseau, notre trio, tout semble aller dans le bon sens, aller de soi. Je vois des badauds commencer à s'arrêter devant la devanture pimpante de notre future lieu de travail, devant l'affiche colorée annonçant avec emphase l'ouverture prochaine. Tout est en place. Je me demande si Marie sait pourquoi tu es là, pourquoi tu ne m'as rien dit, et si elle se rend compte qu'elle bâti une forteresse sur des sables mouvants.

(Les épisodes précédents ici :  Livre #1 - Livre#2 - Livre#3 Livre #4)

Un texte écrit sur une vignette dessinée par un ami, Laurent J, que je remercie. Il élabore en ce moment une BD... J'ai très envie qu'il réussisse à la terminer, et qu'il puisse trouver un éditeur.

laurentpage

 

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5 octobre 2015

Livre #4 (atelier d'écriture)

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Je reprends mon cahier, celui dans lequel je te parle. Je ne l'ai pas rempli depuis plusieurs jours. Je m'habitue je crois à la distance nouvelle qui s'est établie entre nous. C'est du moins ce dont j'essaye de me persuader. Parce que, pour être honnête avec toi, je n'ai pas le sentiment de gagner tous les jours ma lutte contre l'affection que je te porte. Pourquoi m'as-tu trahi ? Tu savais pourtant combien j'avais souffert de la perte de mon précédent emploi, combien il était important pour moi de travailler, surtout depuis ce tête à tête avec Tom, les charges qui s'accumulent, ma maison, l'école, et toutes ces broutilles dont j'aimerais tellement me passer. Il me faudrait des vêtements neufs, une nouvelle couleur, des chaussures. Que penser ? Je t'ai vu il y a plusieurs semaines déjeuner avec mon ancienne chef de rayon, celle qui me méprisait. Et je te retrouve quelques jours après en compagnie de Marie dans son atelier. A quoi joues-tu ? Je ne sais pas si elle aura les moyens de nous garder tous les deux. C'est ce qu'elle nous a dit. Il faudrait que la librairie fonctionne bien, dès l'ouverture, et au moins au moment des fêtes. Je me suis mise à douter de toi, à me demander qui tu étais vraiment pour venir prendre éventuellement ma place. Et tu ne m'as rien dit, pensant certainement que ton sourire large et fier effacerait tout, et surtout mes questions. Je ne t'envoie plus de mails, mais toi non plus tu ne m'écris plus.

Je ne touche plus non plus le carnet où s'élabore mon livre, celui dont je t'avais parlé avant le silence. J'y ai posé pour l'instant mes rencontres, des visages et des voix. Tom a finit pas ranger les photographies que je laissais trainer partout sur le buffet du salon, prétextant la venue d'amis, un ordre à respecter, une certaine normalité. J'ai laissé sur le dessus de la pile les photomatons de ce garçon que j'avais rencontré dans le métro à Paris. J'avais vingt ans. Nous nous étions assis plusieurs fois l'un en face de l'autre dans une rame bondée, chacun avec son livre. C'était amusant, romantique. Un jour nous nous étions échangés nos numéros de téléphone dans un grand éclat de rire, prétextant que c'était un signe, ce face à face régulier. Il m'avait emmené boire quelques verres, m'avait embrassé. Je crois que nous aimions vraiment être ensemble mais qu'aucun de nous deux ne croyait reellement à notre relation, que c'était juste comme ça, un rapprochement ponctuel, mêlé de respect et de pudeur. Ce garçon s'habillait étrangement. Un jour, j'avais enlevé un à un ses nombreux pulls et T-Shirt. En dessous, son torse était maigre, enfantin et fragile, surprenant, il racontait une histoire que ses yeux soudain à nus confirmaient. J'avais les larmes aux yeux. Je me souviens l'avoir serré dans mes bras, longtemps. Mais qu'il était évident, alors qu'il cherchait à échapper à mon étreinte, qu'il n'y aurait pas de seconde fois, une nouvelle occasion d'intimité. Quelque chose que j'ignorais, qui resterait ainsi, collé à lui, avait tout brisé.

J'ai terriblement aimé les débuts de notre amitié. Nos échanges complices alors que nous courbions tous les deux le dos sous le poids absurde de cette enseigne qui s'affichait fièrement sur les gilets que nous portions tous. Le soir, par mail, je te parlais du départ du père de Tom, de ma solitude, de ce métier que je commençais à détester, tu me répondais toujours. Voir ton nom s'afficher dans ma messagerie me rassurait. Le monde tournait rond puisque tu étais là. Et puis j'ai commencé à te voir à l'extérieur, là aussi tu étais là. Maintenant, il me semble que tu es un étranger, que j'ai rêvé la confiance que je te portais. Que s'est-il donc passé ?

Une photo (de Kot), une inspiration, beaucoup d'imagination, et au final un texte, qui commence à faire une histoire, qui commence à ressembler à un livre... tout ça pour l'atelier d'écriture de Leiloona [clic]. 

Episodes précédents : Livre #1 - Livre#2 - Livre#3 

1 octobre 2015

Livre #3 (petit intermède d'écriture)

Livre #1

Livre #2

Je me suis rendue au marché ce matin. Difficile d'y échapper ici. Le samedi, le village change de figure, se colore, s'encombre de camionnettes. Et là je t'ai vu, au travers des étals, la tête penchée, tu semblais hésiter entre deux achats, ou alors tu laissais ton esprit vagabonder, profiter du moment. Le soleil était brillant et jaune, il était tôt, il faisait bon, tu étais seul. Je ne voyais que tes cheveux blonds. J'ai eu envie d'aller te voir, de te bousculer gentiment, d'entendre de nouveau ton rire complice. Ce serait si facile d'oublier.

A l'atelier, le travail commence à prendre forme. Tu as compris qu'il ne servait à rien d'essayer de me parler pour l'instant. Nous échangeons chacun à notre tour avec Marie, elle même trop préoccupée pour remarquer notre manège. La librairie que nous allons ouvrir dans quelques semaines est son bébé, c'est elle qui apporte les fonds, fait tout le travail, nous ne sommes que ses employés. Pour l'instant, toi et moi contactons les représentants, les éditeurs, nous cochons des petites croix dans des catalogues, nous rêvons à des rayons parfaits.

J'ai repris l'écriture de mon livre. Je sais à présent que je ne veux plus parler de l'enfance trop lointaine, ni de ce qui pourrait m'attrister. J'ai envie de lumière. J'ai donc pensé aux rencontres, aux moments légers comme des bulles de savon, je fais un florilège d'instants joyeux, de sensations. Sur la table de ma cuisine, je continue à faire des petits tas de photographies. Je prends plaisir à retrouver des visages. Il y a certaines personnes que j'aimerais revoir, d'autres non. Tous ces gens ont fait ma vie, prendraient de la place si ils étaient réellement présents ensemble, dans ma maison, aujourd'hui.

Mon fils râle devant l'envahissement de ma nouvelle lubie, réflexe naturel de l'adolescence contrariée. Lors des repas, il s'assied de mauvaise grâce à l'autre bout de la table, puis me décoche tout de suite un grand sourire. « Si ça te fait plaisir maman.» Notre complicité a toujours eu gain de cause, et Tom sait très bien que je le laisserais faire si il lui prenait l'envie de faire à son tour des petits tas de photographies à côté de son assiette. Depuis que nous ne sommes plus que deux, et que nous nous sommes retrouvés, tout à coup étonnés, en face à face avec nos similitudes de caractère, nos sensibilités à fleur de peau, le pli a été pris de privilégier la bienveillance, la rêverie. Le tumulte est au dehors.

Je t'ai permis de rentrer chez moi, de découvrir ma maison, et tu as serré mon fils dans tes bras. Je crois même que je n'ai pas cherché vraiment à calmer les papillons qui, dès notre troisième rencontre, ont bougé dans mon ventre. Mais il y a surtout ces mails, tous ces mots que nous échangions. Notre conversation me manque. Ecrire sur ce cahier ne remplace pas tout. Les blancs laissés par tes réponses inexistantes sont des petites flèches que je dois apprendre à soigneusement éviter.

 

21 septembre 2015

Cette porte qui mène à toi... atelier d'écriture [Livre #2]

atelierribotjulienElle est facile à refermer cette porte qui mène à toi. Ce n'est pas comme si tu allais tambouriner derrière. Magie de l'écriture, de l'imagination. Il suffit que j'écrive ces mots pour que je t'entende frapper des petits coups sur ma porte imaginaire. Tu tambourinerais donc ? Mais je préfère tenir bon et cesser de me faire des illusions. Depuis que j'ai rompu notre conversation, l'idée d'écrire un livre a pris toute la place. Et j'essaye de ne pas me laisser influencer par tes réactions, ou ce que j'imagine percevoir de tes réactions. Lorsque je croise ton regard, à l'atelier, tes yeux se rétrécissent et ton sourire revenu semble poser mille questions. J'ai trouvé une technique, imparable, pour esquiver cette lumière qui émane alors de toi, et qui pourrait sans peine tout absoudre. Je fais semblant de chercher un point au dessus de ta tête, l'inspiration, puis je replonge dans mon travail.
Le travail m'aide à t'oublier, mais le travail m'inflige ta présence quotidienne. Comment s'en sortir ? 
Heureusement, il y a l'écriture. Mais n'est-ce pas encore conserver un lien tangible avec toi, cette conversation que je continue là ?

Le cahier ouvert il y a quelques jours, celui destiné à mon livre, est déjà bien rempli. J'ai décidé d'être mon propre personnage, les autres sont déjà pris. J'ai finalement fait l'impasse sur mes premières années, sur l'adolescence, sur tout ce pan de mon existence qui attendait seulement que la vie commence enfin.  A poser les faits sur la page, j'ai pris conscience de la fragilité de ces enfances sages et bruissantes qui espèrent avec passion et mutisme l'envol. Le premier essai vers ce qui brille est souvent rapide, brutal, et la chute inévitable. Moi aussi je me suis écrasée, je me suis brûlée les ailes, et j'ai connu la passion. La désillusion et la perte ont suivi, accrochées derrière en ribambelle. Sur un coin de la table de ma cuisine, j'ai empilé hier des photographies, celles colorées de l'enfance, ma bouille ronde, mes fossettes. Le regard naïf et confiant de la petite fille blonde qui se retourne à chaque fois vers l'objectif, étonnée, me blesse un peu. Je voudrais la couver à distance, lui prendre la main, la soulever et la prendre dans mes bras. Elle ressemble à mon fils. J'ai fait un autre petit tas avec celles qui ont capté furtivement mon corps de jeune fille, les yeux sont plus sombres, les vêtements aussi, les cheveux permanentés. Je devine les bras trop minces sous les manches longues, la clavicule près du col roulé, le sourire large qui tente de cacher le bouleversement. Il y a une photographie qui m'impressionne, j'avais oublié le maquillage de cette soirée là, et mes lèvres ouvertes écarlates sur mes dents blanches, le reste du visage qui semble disparaître autour. J'étais peut-être heureuse à ce moment là, réellement, et cette fenêtre, cette pause dans le bouleversement, dans la noyade, elle donne le sentiment sur cette image de moi qu'elle allait m'absorber entièrement. Parce que je sais combien tout était brutal alors et que disparaître sur pieds, ne pas prendre de place, oublier de manger, était aussi finalement presque facile. Je suppose que j'oscillais entre les deux, entre la peur et le bonheur, qu'il y avait bien souvent des journées joyeuses, et que cahin caha je grandissais. Est-ce que cette jeune fille était jolie ? Possible. En tous les cas, l'intensité donne à ses traits une ferveur perdue aujourd'hui, j'ai changé.

Crois-tu que cela puisse faire un livre cette oscillation, cette jeunesse qui s'interroge et la douleur des premiers émois ? A relire mes essais, les quelques pages déjà griffonnées, j'ai envie de tout déchirer, de renoncer. Il faudrait savoir mieux écrire, amener les évènements à tâtons, ne pas ennuyer, parsemer le tout d'humour et de gaieté. C'est un peu mal parti. Et puis je songe à la lumière qui émanait de toi tout à l'heure dans l'atelier, à ce qui m'attire en elle. Ecrire un livre lumineux, voilà une meilleure idée. 

(Ce texte se veut la suite du dernier rédigé livre#1 Notre conversation, mais je trouve que le passage entre les deux manque de fluidité, que le ton n'est pas le même, bref ce n'est pas facile d'écrire long, dites donc.)

Une photo (de Julien Ribot), une inspiration, beaucoup d'imagination, et au final un texte... tout ça pour l'atelier d'écriture de Leiloona [clic].  

 

14 septembre 2015

Notre conversation... atelier d'écriture [Livre #1]

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J'ai interrompu il y a quelques jours notre conversation. Je me suis mise à douter de toi. Et puis, tu m'as demandé où j'en étais de mon livre. Il n'était pas commencé. Je n'avais pas encore réussi à dépasser le frein de la première page, forcément blanche. Mais je ne t'ai rien dit, j'ai décidé que si je continuais à te parler dorénavant ce serait ailleurs, sur un cahier, celui par exemple que je tiens à l'instant sur mes genoux, déjà bien griffonné. Une manière de faire de toi mon interlocuteur silencieux, mon secret, celui à qui je parle. 
Est-ce que tu crois que cela peut faire un livre ?
Ce n'est pas évident de commencer. Je n'ai pas de but, pas vraiment de personnages, pas d'idées. Juste l'envie d'écrire. Et il est évident que cela ne suffira pas. Pourtant, j'ai de la matière à raconter. La matière à raconter ce n'est pas vraiment ce qui manque. Des choses à dire.
Pour bien faire, il faudrait commencer par l'enfance. Tout le monde commence par là. Le début. Mais du haut de mes quarante ans, elle me semble soudain seulement pleine de lumière l'enfance. Et elle ressemble drôlement aux quelques photographies décolorées que j'ai conservées. La mémoire s'arrange avec elle même, reconnecte les événements avec les souvenirs tangibles, fait le tri, s'adapte à notre point de vue. En fait, de l'enfance, je ne retiens à présent que des broutilles. Cette brosse à cheveux que je passais mon temps à perdre, à chercher, et à retrouver. La moquette drue et marron de la chambre que je partageais avec ma sœur. Le bruit du linge mouillé qui claquait sur le fil. La rivière. La mer comme un rêve lointain. Et puis les promenades à vélo. L'importance des livres, leur odeur, et le temps passé le corps dans l'herbe à observer les nuages. De l'enfance, j'ai le sentiment de n'avoir vécu que l'été, comme si les autres saisons n'existaient pas. Ni cours, ni cour de récréation, ni camarades. Seulement l'été, le ciel et moi.
Crois-tu que cela puisse faire un livre ? Ce bonheur de se retrouver le temps de quelques semaines en tête à tête avec soi-même, les genoux écorchés, mes cheveux châtains dans les yeux, ma solitude ?
Ce n'est pas facile de vivre avec cette certitude que nous pourrions tellement nous entendre, et ta froideur, ta distance, la chaleur sporadique que tu m'octroies, puis tes craintes. J'ai donc interrompu depuis quelques jours notre conversation.
Et puis il y a ce livre que je voudrais écrire.

Une photo (de Leiloona cette fois-ci, nostalgique de son passage en Vendée), une inspiration, beaucoup d'imagination, et au final un texte... tout ça pour l'atelier d'écriture de Leiloona [clic]. 

1 juin 2015

Mon alter ego (atelier d'écriture)

porte-marion-pluss

Je regarde cette porte, que tu as poussée hier, la lumière qui frôle le sol, le jeu des ombres sur les murs. Et tu me manques. Ton rire me manque. Le jour s'est levé sur ton absence, plein de perplexité. Ce n'était pas un rêve, je t'ai vraiment demandé de t'en aller. Je me pensais incapable de faire de nouveau cela dans ma vie, m'arracher le coeur. Mais j'ai réussi. Et tu es parti. Et peu importe à présent si mon corps est blessé, strié de grandes cicatrices douloureuses, si je ressens physiquement la lame d'un poignard me transpercer le ventre et y creuser ta tombe. Nous n'étions plus que des fantômes l'un pour l'autre, en danger. Et j'avais besoin que tu t'en ailles pour retrouver celle que je suis. Dans le tumulte qu'est notre vie présente, nous nous serions perdus de toutes façons. Je commençais à me détester de te chercher, de t'attendre. Depuis la veille, étrangement, chacun de mes gestes résonnent dans l'appartement. Le choc de la bouilloire sur la gazinière a provoqué tout à l'heure un long écho lugubre. Toi parti, les sons semblent avoir appris un autre langage. Le temps s'écoule par petites gouttes pointues. J'ose à peine bouger, je redoute la vague de remord qui me fera douter. J'ai pris ma journée pour pleurer ce qu'il faut, m'enrouler dans des pulls, des écharpes, éprouver ma douleur jusqu'au bout, boire et manger du bout des doigts. Oublier les échanges, les autres. Rester avec la part animale qui hurle en moi. Toutes les deux nous avons besoin de parler, de décider du silence des prochaines semaines, de l'abandon. Tu as tes erreurs à faire. Ces erreurs qui font vibrer ton téléphone les week-ends, et te rendaient dernièrement trop soucieux. J'ai confiance. Je sais que ce qui nous rapproche trouvera bientôt son chemin dans mes disparitions. Que ton départ était le seul moyen de ne pas te perdre. Qu'il n'y a pas de souffrance inutile, pas de patience vaine. J'attends ton retour. Mon alter ego.

Une photo (de Marion Pluss), une inspiration, beaucoup d'imagination, et au final un texte... tout ça pour l'atelier d'écriture de Leiloona [clic]. Un texte, rédigé in extremis dimanche soir, et largement inspiré par la chanson de Jean-Louis... et peut-être aussi par mes souvenirs de Soie d'Alessandro Barrico, parce qu'elle me rappelle ce roman cette photo.

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