(En ce moment, la gourmandise familiale rime avec Sophocle, George Sand, La Fontaine, etc... et le paquet n'est même pas encore terminé. J'aime surtout ce petit silence après chaque lecture...il est tout plein de réflexions diverses et de recherches de sens.)
"En ce moment je ne suis plus moi-même, je ne résiste plus. Comme si la vie de mon père et la mienne ne faisaient qu'une. Je vieillis sans doute. Je suis l'esclave de mon corps et de cette forêt. Elle n'existerait pas sans moi et sans elle je ne suis rien. Je suis une racine primaire d'un arbre de cette forêt. Je crois que je ne partirai jamais, comme tous les gens du village. Mon sang coulera dans les arbres que je coupe pour l'éternité. Et dans les animaux que je tue."
Nous sommes dans la campagne belge à la veille de la seconde guerre mondiale. Yvon, un jeune garçon vit au coeur de la forêt sous le joug d'un père violent et obtus. Malgré le peu d'occasions qui se présentent à lui d'aspirer à autre chose, les rêves d'évasion et la colère sont là... Un cerf imaginé et fantomatique en costume personnifie d'ailleurs son courage et sa détermination, et lui apparait de temps en temps pour le protéger ou le pousser plus loin. La forêt sera son refuge protecteur lorsque les allemands, conquérants, fouilleront chaque village en quête de travailleurs. Yvon prendra le maquis, en solitaire, pleurant la perte de son meilleur ami et se préparant à un futur que l'on devine lointain et riche en péripéties.
Nicolas Pitz s'est inspiré de la vie de son grand-père pour cette trilogie intitulée Luluabourg, ancien nom d'une ville du Congo, Kananga. J'ai été attirée par la couverture magnifique de cet album, j'ai été intriguée par son univers assez étrange, et c'est un monde très sombre que j'ai découvert, un monde aux traits épais et inquiétants mais également fascinant. Un voyage particulier, mais sans doute irais-je lire les deux autres tomes de cette série prometteuse, étonnante de talent...
Editions Maolosanctis - 16€ - Janvier 2011
La fiche sur le site éditeur qui est également un site participatif spécialisé BD, lancé en 2009 (dans le domaine le genre me semble d'ailleurs beaucoup plus dynamique, plus discret et plus efficace qu'en littérature, et de loin... Admirative, je suis.)
"Deux pieds et deux jambes pour moi, les minutes et les secondes contre moi. Une course contre la montre, exactement. Fendant une foule de Hollandais et d'Allemands, comme un vélo champion au sommet d'un col. C'est comme ça que ça a commencé la blessure. La blessure et courir dessus."
Eté 86, la chaleur, Saint Michel en l'Herm, la côte vendéenne et la Faute sur Mer bien avant la marée, et avoir 15 ans, et ne penser qu'à une seule chose, devenir un homme, coucher avec une fille... Qu'on en finisse une fois pour toutes avec ce passage obligé, qu'à la rentrée ce soit fait et voilà. Pas si facile, pas si simple. Le petit François né à Luçon, et qui a grandit dans ce village semblable à tant d'autres, est devenu entre temps Le Nantais. Retour au pays pour l'été. On retrouve le groupe d'amis, le café Chez Gaga et des stratégies de copinages à faire pâlir les candidats de Koh-Lanta (cela dit on ne les imagine pas encore). Les filles sont des caricatures de Madonna. Les garçons friment en mobylette. Bardé de son 17 sur 20 en anglais, notre héros fait pâle figure devant les cadors du coin qui râflent largement la mise malgré leurs dents manquantes et leur propension à boire de la Kro plus que de raison... L'amour sortira-t-il gagnant de cette histoire ? Pas si sûr. La vérité, la vraie, aura-t-elle été évoquée ? Pas certain.
Je ne pouvais passer à côté de cette enfance vendéenne qui malgré ses accents de couverture semble en grande partie fictionnelle. Ayant déjà lu, vu et entendu François bégaudeau à plusieurs reprises (ma lecture de Fin de l'histoire) je n'ai pas été surprise de retrouver ce même petit accent macho et ce rythme d'écriture vif et haletant qui fait sa signature. Tout cela est souvent cru sans être vulgaire du tout, d'une inconvenance toute adolescente qui passe très bien, c'est drôle aussi et cocasse, par moments assez inconcevable. Ca ne plaira pas à tout le monde, moi j'ai aimé le lire. C'est un peu, j'ai trouvé, le côté verso de cette nouvelle de Brigitte Giraud, Baby footqui conte un amour d'été, version adolescente... Alors que les filles regardent les yeux des garçons, les garçons eux pensent parfois à autre chose...
"Il avait été convenu que Jovana leur amènerait Gaël le samedi vers midi. Dès le matin, Simone ouvrit tout grand sur le jardin, dans l'espoir d'aérer l'air épaissi de chimie et d'une entêtante fadeur de pellicules."
Claude est un homme malade, d'une cinquantaine d'années. Un cancer le ronge qui aura bientôt le dessus. Sa femme, Simone, connue et épousée sur le tard, il y a peu, se désespère de le voir ainsi, affaibli, l'ombre de lui-même. Ils vivent depuis toujours dans une banlieue chaude qui s'ébroue avec violence au-delà de leur portillon et dans les rues alentours. Leur maison est un cocon doux et étouffant tourné vers le jardin. L'intrusion du fils de Claude, Gaêl 11 ans, né d'une liaison furtive et ancienne avec une jeune-femme, bien avant que Simone n'existe dans la vie de cet ancien sportif, va tout ébranler et rendre le quotidien mollement assumé violemment réel... Rien ne peut sauver Claude. L'affection n'est pas légitimée par les liens du sang. Simone est libre.
Voici un livre qui s'ouvre délicatement sur des odeurs de forsythias et se referme avec précaution sur des odeurs moins légères... de maladie, de médicaments et de défaites. Un homme ébranlé n'est pas un livre doux, c'est un livre qui exprime avec justesse les sentiments qui peuvent chambouler une femme confrontée à la maladie de son époux. Alors, lorsqu'il s'agit pour elle d'accueillir en plus les fruits d'anciens amours regrettés ou de réaliser que les fondements de sa vie sont si fragiles et illusoires, la vie ne devient qu'une attente, une promesse de libération... Une lecture qui m'a semblée criante de vérité, non consensuelle et d'une force cachée intéressante. L'écriture en est fluide et nette, agréable. Je pensais lire d'abord Fracas (2007), noté depuis belle lurette... mais c'est avec ce roman que j'ai finalement découvert Pascale Kramer... à suivre, donc. Je l'ai lu il y a quelques jours déjà et je me rends compte que je l'ai vraiment aimé, comme quoi il est bon parfois de ne pas se précipiter pour rédiger son billet.
"L'important, ce n'est pas que soit accompli aucun désir, aucune exigence de ma part, mais seulement que tu retrouves la sérénité, le calme et un rapport raisonnable avec la vie. Aussi longtemps que cela te fera défaut, vivre avec toi est inconcevable pour moi. Revenir à toi tant que tu es dans cet état voudrait dire renoncer à la vie. Et c'est une chose, à mon avis, que je n'ai pas le droit de faire. Adieu, chère Sonia, et que Dieu te vienne en aide ! La vie n'est pas une plaisanterie, et nous n'avons pas le droit de la gaspiller à notre fantaisie. La mesurer à sa durée n'est pas raisonnable non plus. Peut-être les mois qui nous restent à vivre sont-ils plus important que toutes les années déjà vécues. Nous devons les vivre correctement."
Comme le précise en postface Jay Parini, Une année dans la vie de Tolstoï ne cherche pas à être une étude littéraire stricte mais plus une tentative de conter sous forme de fiction kaléidoscopique les derniers instants de la vie du grand auteur, et ce à l'aide des fragments de journaux découverts, notamment celui de Valentin Boulgakov, dernier secrétaire de l'auteur, ou ceux de ses enfants et de ses disciples. Cet opus est également un portrait à charge de la femme de Tolstoï, Sonia, accusée d'être opportuniste et tyranique. En effet, au terme de sa vie, l'auteur est adulé, entouré d'une cour hétéroclite vivant à ses crochets, mais également porté vers des sentiments religieux et philosphiques forts, prônant la simplicité et l'abstinence. Sa femme craint les malveillances et les manipulations de cet entourage admirateur, elle redoute le complot qui n'aurait de cesse selon elle de dépouiller les siens de leur héritage. Elle déteste ce qui éloigne son mari d'elle et est jalouse des égards qu'il porte à ses amis intimes. Le grand homme, dans une tentative de fuite désespérée vers plus de tranquillité d'esprit, trouvera la mort dans une maison de gare, scène liant le tragique au grotesque.
En lisant en écho le billet qu'Alice a consacré à Sofia (Sonia) Tolstoï, on ne peut que comprendre à quel point le couple a eu une histoire complexe et tendue. Je n'ai su que penser de cette version de Jay Parini qui m'a laissé une curieuse impression de malaise... Malgré de beaux passages, j'ai eu le sentiment que le tout était baigné d'un parti-pris et d'une subjectivité forcée. Dommage, car ce livre avait tout pour m'intéresser et malgré mon amour pour les romans et nouvelles de Tolstoï je sais que bien souvent la grandeur d'un homme cache d'autres réalités, les sacrifices d'une famille. Cependant, je ne regrette pas cette lecture, captivante à sa façon. J'y ai appris beaucoup. Je pense continuer à lire sur le sujet, histoire de m'en faire une idée plus précise par recoupement...
Parce que l'on ne peut être en même temps au four et au moulin, ici et là-bas, la tête ailleurs et l'esprit avec vous...ce petit blog fait une pause. Dans une semaine, les livres et tout ce qui gravite autour des mots auront repris l'importance qu'ils ont en général dans ma vie, et je reviendrai ici, certainement plus détendue.
Sinon, j'ai vu hier au soir un film que j'ai envie de qualifier de bizarre, tragique, fascinant et rempli d'amour... Persécution de Patrice Chéreau, avec les excellents Romain Duris, Charlotte Gainsbourg et Jean -Hugues Anglade. La bande-annonce ci-dessous vous en donnera une idée assez juste. J'en ai aimé l'ambiance et la trame narrative, que j'ai trouvé très littéraire... Mais attention, on ne sait pas vraiment où l'intrigue nous mène et ni où exactement elle nous dépose... car ici comme bien souvent l'important est le chemin.
Stonefield est un lieu paisible et rural, idéal pour écrire. Beth et Nicholas l'ont bien compris. Depuis des années, Beth gère le lieu sans faillir, reçoit des hôtes venus pour écrire, tandis que son mari Nicholas se consacre à l'élaboration de romans policiers à succès. A côté, il y a Winnards Farm, inhabité depuis le décès de sa propriétaire. Mais Tamara Drewe, la fille de la disparue apparaît, chroniqueuse reconnue, venant tout juste de subir une opération chirurgicale du nez réussie, belle, sensuelle, troublant la douce ambiance studieuse du lieu, affolant les hommes autour d'elle... Il n'en faudra pas plus pour éveiller la curiosité des jeunes du coin qui n'auront de cesse de briser les interdits afin de mettre un terme à leur ennui sans fond, modifiant ainsi aussi quelques destins.
Quelle belle surprise que cette BD dont Bel Gazou avait déjà parlé ici !! Ce qui est intéressant dans ce volume est la richesse du scénario, la fin non convenue, inattendue, ainsi que cette façon subtile de mélanger vignettes et textes, et ce de manière complètement libre et fluide. Posy Simmonds croque de plus avec humour et causticité ce petit monde fermé des écrivains amateurs ou publiés...et il n'est donc pas étonnant d'y trouver également quelques égos troublés et des désirs inavoués.
Denoël - Juillet 2010 - 18€ (pioché avec allégresse en bibliothèque)
Un film a été tiré de cette BD... Cathulu en parle ici. M'enfin elle parle surtout d'un débardeur vert seyant et de tablettes de chocolat ;o)). Elle a l'air sympa comme tout cette adaptation !
Parfois, au détour d'une allée de supermarché, des mots nous cueillent...un son, une musique, une voix, et c'est comment vous dire... à la fois bouleversant, et parfaitement incongru.
...c'est beau, c'est chaud comme l'Italie, c'est une histoire d'enfance et d'amitié, mais aussi de jalousies et de violence. C'est un récit tout simple et mystérieux où quatre enfants partagent étonnamment la même date de naissance, et où des adultes sont aux prises avec l'animosité des villageois. C'est une BD en deux tomes dont n'ai pour l'instant dévoré que le premier. Vite vite le lecteur actuel et précédent, j'attends ;o)...
"Dans la vie, il y a toujours un avant, un après, vous avez remarqué ? [...] Pour moi, la rupture s'est produite le jour où des hommes casqués, tout en noir, ont défoncé la porte pour se ruer dans la chambre. Lorsqu'ils ont tiré ma mère du lit, elle s'est débattue en hurlant.[...] Ils l'ont plaqué au sol, et l'ont emprisonnée dans une camisole. Puis, ils l'ont bâillonnée. J'ai tout vu, ses larmes, ses yeux fous, les bleus sur son visage. Elle n'essayait plus de résister. Elle me regardait fixement. J'ai compris ce qu'elle voulait me dire. Au revoir mon bébé."
C'est l'histoire de cette petite fille, Lila, enlevée de force à sa mère, et placée dans un centre qui nous est contée ici. Nous suivons avec minutie ses progrès, son difficile apprentissage, entourée de la présence constante de surveillants alliés à la cause de la Commission. La petite Lila est pleine d'une obsession tenue secrète par prudence, retrouver sa mère. Nous sommes dans un futur hyper contrôlé où tout est sous couvert de caméras et sous autorisation de spécialistes compétents. Au-delà de cet univers lisse règne la Zone, c'est là que Lila découvrira peut-être une autre manière de vivre et des bribes de son passé... Dans cet enfer de normalité, l'affection d'un maître érudit, un brin provocateur, et d'un directeur de bibliothèque sont des bouées de sauvetage sur lesquelles la jeune-fille surdouée et fragile pourra heureusement compter.
J'ai aimé dans l'ensemble ce roman. Nous sommes bien loin de Pièce montée, le recueil de nouvelles de l'auteure que j'avais beaucoup apprécié, mélange de douceur et d'acidité très réussi autour du thème du mariage. Nous sommes ici dans le futur, dans le domaine de l'anticipation et il m'a manqué dans les premiers chapitres de l'histoire quelques clés pour ne pas trouver les premiers apprentissages de Lila un peu répétitifs. Cela dit, vos avis étant tellement enthousiastes, j'ai persévéré, et j'ai bien fait. En effet, les personnages secondaires se sont mis peu à peu à s'étoffer, l'intrigue à s'intensifier, la personnalité de Lila à doucement émerger, les contours de la ville à se préciser. Je me suis surprise à dévorer ce livre et à attendre avec effervescence le résultat des aventures et des enquêtes de Lila K au terme d'une ballade moins légère que son titre ne le laisse supposer. Au final, j'ai terminé ce roman emplie d'émotions diverses, entre attachement et douleur. Allez, il est à espérer que notre vie dans un siècle tout juste ressemble à autre chose.
"Tu vois, moi, j'ai des passions, les livres, ça me sauve... J'ai traversé mes temps morts avec des gens qui ont oeuvré pour ça, ceux qui ont écrit... J'ai le livre en main et c'est du carburant pour ma vie à moi..." Jeanne Benameur