La poupée de Kafka, Fabrice Colin
Tu as failli ne pas aimer ce livre... (et cela aurait été dommage). Il faut dire, qu'au tout début, il t'a bien embrouillé dans sa chronologie, et qu'au sortir d'une belle panne de lecture tu n'avais pas forcément envie de poursuivre ta reconquête du plaisir de lire avec un roman compliqué. Pour autant, tu as été intriguée, dès les premières pages, par cette coïncidence étrange, ces similitudes entre le film vu il y a peu (La voleuse de livres) et cette nouvelle lecture. Vous avez remarqué vous aussi ces enchaînements parfois très curieux, ces hasards ? Et puis, tu avais promis à quelqu'un de le lire, et surtout de le finir... Le décor est planté. Nous sommes à Berlin, en 1923, auprès d'un Franz Kafka souffrant de tuberculose, incapable d'écrire... Sa compagne lui parle d'une petite fille ayant perdu sa poupée. L'écrivain écrit alors pour elle des lettres, pour la consoler il imagine une correspondance, une poupée partie en voyage racontant ses aventures. Et tout à coup nous sommes en 1980, à Paris, auprès d'un homme érudit, obnubilé par l'écrivain, et par l'existence effective ou non de ces lettres inédites... Puis, Fabrice Colin nous propulse sans ménagement dans un wagon avec l'urine, la peur, les haltes sans fin, le froid, le froid, la soif, le froid. Quoi ? Là, tu dois avouer que l'auteur a failli te perdre. Et pourtant, tu avais bien compris de quel train il s'agissait, et de quel voyage monstrueux... Et tandis que tu lisais une scène d'embrasement de livres jetés au feu dans un Berlin d'autrefois ravagé par la haine, répondant à une même scène vue il y a peu dans ce fameux film, un camion s'élançait dans la vraie vie sur un marché de Noël à Berlin, avec l'impression très forte que l'Histoire percutait le présent et cherchait à nous dire quelque chose, quelque chose de bouleversant et de fort. Alors tu as poursuivi ta lecture, rencontré une jeune fille déterminée (la fille de l'érudit), Julie, qui permet de lier les différentes époques, les différents personnages, et de comprendre que l'humain est fait de ça, de bonnes intentions maladroites, de mauvaises intentions réfléchies, de mensonges, d'amour, de peur, de haine et de trahisons. Et il te reste, à la fin de cette lecture, comme une sorte d'état de sidération, un pré, la mort, le beuglement de quelques vaches, l'image d'un chalet de montagne trônant dans le silence d'une vallée, le Mont Blanc au loin, imposant et froid, observateur immobile et implacable... et sur la route ce fantôme de Kafka.
Edtions Actes Sud - Janvier 2016