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Les lectures d'Antigone ...
Ardoise magique

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Ben oui, à mon tour, j'ai craqué !

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3 mars 2008

Réveil

Des draps blancs.
Froissés.
Tout à l’heure.
Ce baiser.
Avec violence.
Sur sa bouche.
Déposé.

femmesongeuse

Elle s’assied, sur le lit défait, les jambes croisées.

Du bout des doigts, elle caresse ses lèvres, cette bouche, qu’il a pressé encore une fois, avant de s’en aller.

Elle sourit. Le souvenir de ses mains dans ses cheveux, sur la peau de son cou, sur tout son corps.

Le souvenir, comme une brûlure.

Elle s’allonge, la tête dans l’oreiller. Au plafond, de longues fentes de plâtre craquelées la contemplent.

Elle sourit, et des larmes coulent sur ses joues, rigoles jumelles qui finissent dans le fouillis de ses cheveux roux.

Mais pourquoi pleure-t-elle ?

D’un geste, elle essuie ses tempes. Elle remonte le drap, s’y emmêle, le regard soudain vide, perdu.

La fenêtre est ouverte. Les rideaux roses flottent doucement dans l’air léger, donnant à cette chambre silencieuse une clarté irréelle, éphémère.

Il est parti. C’est ainsi.

Il ne reviendra plus.

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29 février 2008

L'heure des mamans

Cela avait commencé avec la venue de l’enfant.

Sans le vouloir, elle avait endossé le costume qu’on lui tendait, ce rôle, cette assignation à monter sur les marches d’un podium imaginaire, auréolé d'une gloire éternelle.
Elle était mère, elle se devait d’en être fière.

Depuis cet instant où la vie s’était expulsée de son corps, en un cri strident et gargouillant, toutes ses pores, chaque parcelle de son esprit ne se devait de se consacrer qu’à cette seule tâche, sublime, le bien-être de cet enfant, le sien.

Elle aimait enfouir son visage dans les cheveux dorés de sa fille, lui apprendre le monde. Mais elle avait accroché à la porte d’entrée de son appartement le costume rose ramené de la maternité, bien trop grand, qui pendait nonchalamment. Elle n’avait rien vu venir, elle était restée elle-même, elle ne connaissait pas encore « L’heure des mamans ».

Il fallait les voir, ces mères, les unes à côté des autres, sous le préau des maternelles, attendant leur progéniture, à l’heure du goûter. Chacune scrutant l’autre, cherchant la faille, pour se rassurer sans doute, pour asseoir un peu plus leur propre légitimité.
Des conversations entamées. Des reconnaissances qui s’installaient. Sans elle.

Elle les entendait avec frayeur énumérer des gloires maternelles qu’elle se sentait incapable d’assumer, des anniversaires organisés, des activités bien réglées. « Ah, je cours ! Je cours ! ».

Elle, elle ne courait pas. Elle écrivait, elle lisait. Elle se penchait sur les dessins de son aînée.

De temps à autre, elle se disait qu’il ferait bon n’être qu’un père à la sortie de l’école. Elle les enviait parfois. On leur concédait tant de choses, tant d’erreurs irréparables, le droit d’être en retard, d’oublier les blousons, de ne pas connaître par cœur les évènements de la journée. On leur concédait le droit d’être eux, tout simplement.

Cela avait commencé avec la venue de l’enfant, cela prendrait fin, sans doute, un beau jour, plus tard, avec leur départ du domicile familial. En attendant, elle tentait de gagner cette lutte quotidienne, pour ne pas se perdre, chaque jour davantage.
Elle redoutait pour cela « L’heure des mamans » et songeait à l’occasion, avec humour, quoique  sérieusement, à se laisser pousser bientôt une virile moustache.

27 février 2008

Bus

Je n’ai pas mis les bonnes chaussures ce matin, j’ai mis celles qui brillent, qui me donnent un air chic et sophistiqué, mais qui me font mal aux pieds. Il faut dire que je ne m’attendais pas à devoir marcher si longtemps, de si bonne heure, et par ce froid, pour aller travailler.

J’ai raté mon bus, tout à l’heure ! Je l’ai vu s’immobiliser quelques secondes à mon arrêt et s’élancer presque aussitôt, sous mon nez, sans égards pour la passagère habituelle que je suis. Je suis certaine que le chauffeur pouvait me voir, le bras levé, en pleine course, dans son rétroviseur géant.

J’aurais du courir de nouveau, traverser le petit square, pour atteindre l’arrêt suivant, de l’autre côté. Je sais que c’est possible, je l’ai déjà fait, si le bus est retenu assez longtemps au feu rouge, près du carrefour. J’aurais du, mais je n’ai pas pu. J’ai été prise d’une profonde lassitude, inexplicable.

Et à présent, je marche. Et je sais que je vais être en retard, que je vais devoir m’expliquer auprès du chef de service, que mes orteils vont saigner, un peu, que j’aurais chaud, et puis froid, et qu’il me tardera ce soir de quitter ces vêtements à présent souillés de sueur.

En laissant filer ce bus tout à l’heure, c’est un peu ma vie que j’ai laissé filer, j’en ai conscience, alors que mon souffle s’évapore dans l’air glacé, une vie qui regarde sa montre et qui ne goûte à rien, une vie qui pense, s’organise, ne perd pas une minute, s’épuise et devient laide.

Ce matin, je prends des chemins de traverse, je frôle des corps et des visages que je ne vois jamais habituellement, des vieillards avec leurs paniers en osier, des commerçants sortant leurs présentoirs sur le trottoir, des enfants avec leurs cartables trop chargés.

Ce matin, j’ai brusquement tout mon temps.

Alors que je pousse avec force la lourde porte vitrée qui donne sur les bureaux du deuxième étage, me viennent des envies de changements, de paresse, des envies d’ailleurs, et je sais qu’il ne faudrait pas grand-chose à cette minute, un mot, une opportunité, pour que je laisse filer ma vie, son bus, et toutes ses contrariétés.

22 février 2008

Paradis

Voici la version longue du texte proposé suite à la consigne 64 du site Paroles Plurielles.

Il fallait s'inspirer de la photo ci-dessous et de l'incipit suivant : "Il n'en a parlé à personne..." nouveau2

homme

Il n’en a parlé à personne, pas même à son meilleur ami. Il aurait pu, Samuel aurait compris. Il lui aurait gentiment tapé sur l’épaule, et lui aurait dit : « Vas-y fonce ! ». Il connaît Paul depuis si longtemps…

Non, il a préféré tout organiser dans le plus grand secret. Il a pris rendez-vous avec cette agence qui vend morceaux de terrains en friche, pas de porte improbables et studios d’artistes sous les combles. Il s’est acheté, comme on choisi un livre sur un étal, pour sa quatrième de couverture, son petit coin de paradis.

La photo était prometteuse - quoique un peu floue - un étang, une cabane en bois, quelques arbres torturés, et de l’herbe haute, à foison. Il se voyait déjà, en bras de chemise, la sueur au front, une machette à la main, élaguant cette forêt vierge et le soir, à la lumière tombante, une lampe à pétrole posée sur une table de fortune, admirant son ouvrage, le corps douloureux, la tête vide, vivante et reposée.

Dimanche, c’était décidé, il irait prendre possession des lieux. Sa profession ne lui permettait pas de cumuler les démarches, peu importe. De la même manière qu’il jonglait avec les produits financiers de ses clients, heureux de ses audaces, il avait signé le compromis de vente, séduit par cette photo. Il était sûr de lui, il faisait confiance à son flair.

Ce jeudi soir, tout en enfournant un plat préparé dans son four à micro-ondes, il anticipait déjà son plaisir. Ensuite, oui, le lendemain, c’est certain, il en parlerait à Samuel.

Le jour dit, il pris sa voiture, le coffre plein d’outils flambant neufs. Son désappointement fut à la hauteur de ses espérances, immense. La photo avait été prise judicieusement, occultant la décharge à la droite du terrain, et la route, très passante, qui longeait la clôture, à sa gauche.

Il n’en a parlé à personne, s’est débarrassé de son achat à bas prix, puis s’est mis, fébrilement, à vérifier ses dossiers. Il était tout à coup, beaucoup moins sûr de lui.

Samuel le trouvant pâle, l’invita le week-end suivant à venir dîner chez lui. Il y rencontra Marie. Sa beauté avait un charme certain, un avant-goût merveilleux de paradis.

19 février 2008

Proust au marché

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Tante Babette prit une profonde inspiration et plongea la main dans l’étal de salades fraîches disposées harmonieusement devant elle. Elle procédait toujours de cette manière, avec cette confiance absolue en sa chance. « Je vais prendre celle-ci », déclara-t-elle au marchand, sans jeter un regard sur l’heureuse élue, l’installant immédiatement au fond du panier en rotin, brun et usé, qui pendait à son bras.

Tante Babette était un phénomène, un de ces personnages emblématiques du marché que nous parcourions en tous sens tous les mercredis matin, un mélange de douceur et d’extravagance auquel les commerçants s’étaient peu à peu habitués. Ils l’observaient tranquillement, un petit sourire au coin des lèvres, alors qu’elle fermait les yeux et pointait son doigt vers l’aliment choisi. Se doutaient-ils qu’elle ne se trompait jamais ?

J’allais chez Tante Babette, tous les mercredis, tandis que mes parents partaient travailler. Elle n’était en aucun cas ma « tante", enfin pas au sens strict du terme. Elle était simplement la voisine d’à côté, celle avec qui nous partagions un palier triste à la peinture verte, écaillée.

J’aimais l’odeur des coussins fleuris qui ornaient son canapé. Tandis que je finissais ma nuit en rêvassant, je l’apercevais par l’interstice de mes paupières légèrement fermées, marcher sans bruit dans son appartement aux volets tirés, faire son lit et préparer tranquillement sur la gazinière en bois notre petit déjeuner commun, au parfum de chocolat et de tartines grillées.

Chez tante Babette, il y avait des livres, partout, dans des états différents de dégradation. Parfois, je l’entendais râler doucement, un chiffon à la main, contre ce temps qui jaunissait le papier et faisait trembler les doigts. Puis, un grain de poussière lui chatouillait le nez, elle éternuait bruyamment, et nous partions toutes les deux d’un éclat de rire qui n’en finissait plus.

Sa salade bien calée au fond du panier, Tante Babette s’arrêta devant un étal sur lequel le mot « biscuits » , baigné d’une lumière jaune éblouissante, mêlée à une fine odeur de sucre brûlé, fit gargouiller mon ventre. Elle paraissait ravie. Depuis que je lui avais dit ce matin avoir gagné le premier prix de dissertation à l’école, je la sentais préoccupée.

« Choisie une madeleine ! », m’ordonna-t-elle. Je tendis mes doigts, pris un biscuit au goût exotique de fleur d’oranger, et aperçu son sourire coquin.

Ce n’est qu’en lisant Proust, quelques années plus tard, que je compris la portée de ce geste, incongru et délicat, qui lui ressemblait tant. Si je m’en souviens bien, il me semble même avoir un peu pleuré et retrouvé par magie, au fond de ma mémoire, pendant quelques secondes, l’odeur poussiéreuse et raffinée de son appartement douillet.

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16 février 2008

Bureau 313

Les résultats du concours "Court, fort et bien serré" (organisé par le site "Un endroit") sont tombés pendant la nuit de la St Valentin !! Il fallait s'inspirer du thème ci-dessus, écrire un prologue de 250 caractères et un prologue de 1500 caractères maximum.

Je vous invite à lire le texte du gagnant en cliquant sur le lien suivant : Prix Bon Court 2008 - La Femme du cafetier de Lenoir.

Bon, je n'ai pas gagné mais je vous livre ci-dessous le texte que j'avais moi-même proposé :

Bureau 313

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Il n’est point de saison pour les amoureux. L’été, le printemps, l’automne, l’hiver, tout fait l’affaire.

Il n’est point de saison pour mourir, non plus.

Pourquoi Richard avait-il choisi ce jour là pour cumuler tous les instants violents de sa vie ?

Pourquoi tant de désordre dans ce café ? Pourquoi la passion, la neige, le froid et puis ce sang, épandu ?

Sa mort restait un mystère, jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à cette lettre que je tiens entre mes doigts. Derrière le papier, le sourire figé de sa propriétaire, glacé.

« Vous comprenez, je ne savais pas qu’elle existait cette dame, et elle m’écrit, deux ans après, et elle me dit qu’elle connaissait mon frère, bien mieux que je ne peux le dire moi, qu’elle était tombée amoureuse de lui dans ce café, qu’ils ont discuté un long moment après s’être reconnus, puis qu’il est mort, comme ça, en sortant chercher des fleurs pour elle, sur le trottoir, bêtement ! »

La femme tire sur une mèche de ses cheveux, nerveusement.

« Cette lettre peut-elle aider à résoudre le meurtre de mon frère monsieur l’inspecteur ? »

Oui, elle le peut, mais je ne le lui dirai pas. J’observe le mouvement de ses ongles contre le bois de mon bureau.

Elle explique des tas de choses effectivement, tout, elle explique pourquoi Richard est sorti de son lieu de planque, pourquoi il s’est précipité, tel un fou, inconsciemment, au dehors, elle explique l’affolement de ses collègues, elle explique sa mort.

Je tente un hochement de tête rassurant, pose sur un dossier le papier épais parcouru d’une écriture fine et élégante, puis bois une gorgée de café, légèrement refroidie, court fort et bien serré comme j’aime...

11 février 2008

Légèreté

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Elle marche, les bras écartés.

Le soleil au zénith illumine ses cheveux blonds, sa robe blanche, légère.

 

 

 

Elle marche sur le parapet, gris et rugueux, semble glisser, et pourtant, met un pied nu devant l’autre, avec assurance, lentement, comme si le monde lui appartenait, depuis toujours. Derrière elle, la mer scintille, éclatante, chargée de promesses d’eau éclaboussée, de baignade, de rire, remplie d’un été qui s’annonce torride.

 

 

 

Les passants qui longent le remblai la regardent, surpris, figés un moment, évitant le bras tendu qui barre le trottoir étroit et les empêche de suivre la ligne droite de leur promenade nonchalante et sereine, de retour du marché, le cabas rempli de victuailles.

 

 

 

Un homme corpulent, le ventre en avant, la hèle. J’entends sa voix aiguë résonner jusque derrière mon comptoir, tandis que mes doigts cherchent deux morceaux de sucre à disposer en équilibre près des tasses fumantes.

 

 

 

« Il faut descendre ma petite dame, c’est dangereux, vous allez tomber ! »

 

 

 

Elle s’arrête et regarde ses pieds, ne bouge plus, soudain inanimée.

 

 

 

Le gros homme frotte le sommet de son crâne, exempt de cheveux, du plat de la main, semble réfléchir, puis passe son chemin, tout en signifiant d’un geste résigné : « Quelle bêtise…on n’y peut rien. ».

 

 

 

Toujours immobile sous le soleil, je sens le visage impassible de la jeune fille tourné à présent vers moi. Son regard fixe me trouble, au-delà du possible, mais je continue de produire mes gestes du quotidien, je remplis les tasses, les verres, et marmonne quelques mots polis en direction des clients réguliers accoudés près de la porte d’entrée, qui se gaussent de la situation.

 

 

 

« Elle est folle celle-là…Va tomber…Bah…Les jeunes aujourd’hui…Rien dans la tête. »

 

 

 

Je la vois du coin de l’œil, les bras à nouveau écartés, reprendre sa marche et se mettre en position pour esquisser un demi tour. Je crains tout à coup le pied qui dérape et le vide, derrière, la chute sur les rochers. Tendu, je casse le verre que j’essuyais, l’observe. Elle n’a pas glissé. Elle reprend, sans aucun trouble apparent, sa marche lente, sa danse étrange, dans l’autre sens.

Rien ne semble la perturber, ni les chiens qui aboient vers sa main tendue, ni le vent qui souffle et fait voler les mèches de ses cheveux dorés, rien.

 

 

 

« Qui la connaît cette fille ? », lance un de mes habitués.

 

 

 

Mes pensées dérivent alors vers la scène d’hier au soir, vers la dispute, tandis que je ramasse les morceaux de verre brisés, précautionneusement.

Tout avait pourtant bien commencé, l’accueil avait été chaleureux, ses bras autour de mon cou, le dîner préparé, son sourire coloré et rieur au goût de fraise. Elle était belle.

 

 

 

« J’ai quelque chose à t’annoncer. »

 

 

 

Ses doigts sur son ventre, en forme de berceau.

Ma stupeur. Et ce « non » qui sort instantanément de ma bouche, comme un réflexe, comme si j’avais attendu cette question, depuis des années, et que la réponse était au bout de ma langue, prête à sortir à l’occasion. Ses traits déçus, avachis, ses yeux affolés quand je lui réclame l’anéantissement de ce projet insensé. Elle et moi, si différents.

Son « Je te hais ! » hurlé, et cette porte claquée sur sa robe jaune, fleurie, la robe de notre première rencontre.

 

 

 

Et à présent, ce midi, en plein soleil, elle sur ce parapet, qui marche, les pieds et la tête nus. Me narguant.

 

 

 

Que veut-elle ? Sans doute que je la rejoigne, la prenne dans mes bras, la rassure, lui dise ces mots qu’elle souhaite entendre, « oui, nous l’aurons cet enfant. ». Je ne peux pas. J’ai presque le double de son âge, des rides marquées sous les yeux. Elle est si jeune, encore étudiante, si frêle. Que fera-t-elle, plus tard, d’un barman sans avenir, un moins que rien, un homme aux virages ratés, échoué sur cette côte, un jour, pour ne plus en repartir ?

 

 

 

Mon logement n’a qu’une pièce, saturée de livres, de photos de bateaux, de vinyles usagés. Quelle place aurait un nourrisson au milieu de ce bazar ? Elle ne se rend pas compte.

Elle vit dans un rêve, adolescent, qui n’est plus le mien.

 

 

 

Ses cheveux blonds volent dans la lumière. Elle continue sa danse bizarre, sur le parapet, ses doigts tendus, le bleu du ciel en toile de fond, à peine tâché par quelques nuages égarés. Elle est belle. Elle m’attend. Je sais ce que je dois à notre rencontre, au soleil qu’elle a mis dans ma vie. Je dois lui parler.

 

 

 

Dans quelques minutes mon collègue sera là. Je pourrai quitter ce comptoir, traverser la rue et m’élancer vers elle, poser ses pieds nus sur le remblai, en sécurité,  et trouver les mots justes qui apaiseront sa colère. Je regarde l’horloge au fond de la salle égrener ses secondes. Il ne va plus tarder.

 

 

 

Paul se tient enfin devant moi, des lunettes de soleil juchées sur le haut du crâne.

 

 

 

« Dis, c’est pas ta copine, là-bas ? »

 

 

 

Je voudrais bien effacer de mon poing le sourire goguenard qui fleuri sur son visage mais je me retiens et lui file un coup de coude dans les côtes, léger, qui le fait s’esclaffer de plus belle.

 

 

 

« Je me disais aussi. »

 

 

 

Je lève les yeux pour vérifier une dernière fois la présence de la robe blanche qui danse et des bras tendus avant de contourner le comptoir et de franchir le seuil du café.

Le parapet est nu, vide d’elle, et le ciel d’un bleu sans tâche.

 

 

 

Seuls quelques badauds s’attroupent, dans un cri, et se penchent en silence, par-dessus le parapet gris, consternés.

 

 

 

9 février 2008

Si

cadenas

J’ai sorti mon cahier à couverture rouge de mon grand sac, l’ai déposé bien en évidence sur le bureau.

Il faudra bien que je les écrive un jour, ces mots qui ne viennent plus, qui se tassent en moi.

Il faudra bien qu’il surgisse cet apaisement libérateur, ce déluge verbal qui me fait peur.

Je connais le pouvoir de mon écriture, je le redoute aussi.

Les larmes. Les palpitations du cœur. Les cris.

Je regarde un instant par la fenêtre, l’agitation de la rue, la lueur des réverbères, la beauté des pierres. J’ai déposé ce matin sur chaque touche de couleur un salut amical. Elles me le renvoient ce soir. Je serai bien ici.

Je suis arrivée hier au soir, je me suis enfuie, j’ai besoin de silence.

J’ai laissé là-bas pour un temps le trop-plein de mouvance, les paroles inutiles, son corps. J’ai récupéré le mien, j’ai pris de la distance.

J’ai choisi cette ville pour refaire le plein, m’absoudre de moi-même.

Et puis il y a cette clé qu’Anton m’a laissée, mon ami.

« Vas-y m’a-t-il dit,  c’est un peu plus loin, sur ta droite, après l’hôtel, fais moi confiance, tu seras surprise. »

J’y suis allée tout à l’heure, un enchevêtrement de chaînes, deux cadenas, une grille inamicale et au détour d’un mur, un jardin merveilleux de douceur, des herbes folles, des fleurs mauves, un cours d’eau, inattendu.

« Il appartient à mes parents, m’a-t-il précisé ensuite au téléphone, le sourire dans ses syllabes. Tu possèdes la clé des évènements, Anna, en toi. Tu sais très bien de quoi je veux parler, même si l’abord te paraît rude, il est peut-être temps de t’en servir. »

J’ai acheté un stylo à l’épicerie qui jouxte la mairie, en sortant du jardin.

Demain, je dessinerai sur le cahier à la couverture rouge la clé qui mène à mon chemin.

(Un texte émis suite à la consigne 63 du site Paroles Plurielles)

4 février 2008

Ligne 1

Mauvaise surprise, le quai du métro est noir de monde !

Moi qui espérais tant finir ce petit livre, commencé hier au soir, si poétique et bien écrit. Pour l’instant, il déforme la poche droite de mon manteau, je sens son poids intime et alléchant contre ma cuisse. Il me faudra attendre. Cette foule promet un compartiment plein à craquer, et un voyage désagréable, le nez collé sur les portes coulissantes. Aucun moyen de lire, c’est certain, juste une demi-heure pour penser, moi qui ne voulais penser à rien, justement, ce matin.

Une sonnerie stridente annonce la venue d’une nouvelle rame, la foule se presse dans un mouvement unique et s’engouffre en silence dans le wagon qui lui fait face. Les visages impassibles se frôlent et s’ignorent tandis que je laisse mon regard s’attarder sur les néons qui filent à tout allure derrière les vitres sales. Il est huit heures, et je sais que je vais le retrouver tout à l’heure, lui.

Depuis que je vis ici, dans Paris, il m’a fallu apprendre à éviter les regards, à marcher vite, à me fondre dans la foule et à vivre seule, du moins au début. Puis j’ai rencontré Paul, nous nous sommes plu et tout est allé très vite. Nous avons loué un petit appartement confortable. Nos livres et nos babioles se sont serrés les uns contre les autres, une certaine idée du bonheur, quotidien.

Et voilà que je pense, à cet autre, au plaisir que j’ai d’aller travailler, depuis qu’il est là, à son sourire amical, à tout ce que je sais de lui, à tout ce qu’il ignore, à l’absurdité de tout cela, de ma vie.

La rame du métro, en partie désertée, s’arrête au terminus. Je suis arrivée. La foule pressée s’éparpille aux quatre coins du parvis de la Défense. J’aperçois, au loin, l’immeuble où je travaille. Dans quelques minutes, lorsque je franchirai le seuil du bureau que nous partageons, il m’embrassera, sur les deux joues. Sa femme et ses enfants me souriront gentiment dans leur cadre photo.

Et je retiendrai ce mouvement, interdit, de mes mains vers les siennes.

2 février 2008

Ill(us)ion

illusion

J'aimerais t'aimer hors saison
Lorsque la plage se vide

Et que les valises se font.


T'aimer tel que tu es
,
Exempt de vieillesse

Toi et moi, immortels.


Dans une maison vide

Tu me tiendrais la main,

Ma nuque sur ton épaule.


Le vent s'engouffrerait doucement

Entre les volets crochetés.

Annonçant un hiver

Qui durerait longtemps.


J'aimerais t'aimer

Hors de nous

Dans un temps

Qui nous appartiendrait

Figé, préservé.

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